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LA DÉMOCRATIE INACHEVÉE (P. Rosanvallon) Fiche de lecture

Après Le Sacre du citoyen (1992) et Le Peuple introuvable (1998),c'est-à-dire après son histoire du suffrage universel et son histoire de la représentation démocratique, Pierre Rosanvallon aborde, dans La Démocratie inachevée (Gallimard, 2000), le problème de la souveraineté du peuple en France. S'interrogeant sur la façon dont cette souveraineté a été mise en œuvre et prenant acte des déceptions qui en ont résulté, il s'est proposé de « reprendre les choses à la racine et d'éclairer ces questions dans le cadre d'une histoire longue et élargie du problème de la souveraineté du peuple ». Cette histoire philosophique du politique vient relayer son étude sociale en intégrant les données matérielles de cette dernière dans une histoire plus conceptuelle. Elle exclut toute visée normative qui dissiperait le caractère problématique de la politique moderne, objet même de l'ouvrage.

Dans la démocratie, Pierre Rosanvallon voit d'abord l'enchevêtrement historique d'un désenchantement et d'une indétermination. Celle-ci s'enracine dans un système complexe d'équivoques et de tensions qui structurent dès l'origine la modernité politique : pensera-t-on la souveraineté du peuple en termes de participation à la puissance sociale, de pouvoir populaire immédiatement et continûment actif, ou verra-t-on en elle l'expression d'un simple consentement – sauvegardant l'autonomie des individus –, donné à des gouvernants pour l'exercice de l'autorité publique ? Aussi bien est-ce à 1789 qu'il faut ici encore revenir. Dès la Constituante se sont opposées deux conceptions de la démocratie : l'une, purement instrumentale, la réduit à un simple artifice technique ; l'autre est solidaire d'une vision philosophique qui excède le cadre institutionnel. Ce mélange d'idées libérales et de vues héritées de Rousseau, de souveraineté « principe », passive et restrictive, et de souveraineté « exercice », active et élargie, est caractéristique des théoriciens les plus avisés, de Sieyès au premier chef.

Que signifie dans ces conditions « l'appel au peuple » qui émaille tous les discours de cette époque ? Remettra-t-on aux représentants des pouvoirs illimités dans les périodes « ordinaires » ? Des circonstances exceptionnelles, des crises conduiront-elles à rendre la souveraineté « extraordinaire » ? En fait, on distingue mal la souveraineté « autorisation » de la souveraineté instituante, et le flou n'est pas dissipé avec la séparation de la souveraineté du peuple et de la souveraineté de la nation. Il s'épaissit, en cette fin du xviiie siècle, où se trouvent associées dans le même mot – démocratie – une connotation « antiquisante » qui renvoie au passé, et une formidable capacité d'informer l'avenir – le concept devenant alors prospectif, comme l'a vu naguère R. Kosseleck. Ces flottements conceptuels sont rapportés à des peurs (des aristocrates, du fédéralisme) et à des impatiences qui font se télescoper une approche sociale et une approche institutionnelle de la démocratie. Le bon régime ne serait-il alors compris que comme la négation de l'ordre aristocratique ? La démocratie aurait-elle besoin d'ennemis, – les ennemis du peuple ? La question n'est pas ici posée.

Ce brouillage du phénomène représentatif a épargné l'Amérique. L'aristocratie n'y a pas fait l'objet d'une répulsion massive ; la demande démocratique s'est déclinée spatialement (au niveau local, sur le plan fédéral), conduisant à un équilibre pratique ; l'accord s'est fait sur et dans la République. « Là où l'Amérique, conclut l'auteur, essayait à tâtons de trouver la voie d'une originale démocratie représentative,[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de L'Année sociologique

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