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LA DUCHESSE D'AMALFI, John Webster Fiche de lecture

Un baroque funèbre

La Duchesse d'Amalfi est une méditation, d'une exceptionnelle vigueur sur le temps et la mort, dans la tradition baroque des memento mori. Les références à l'iconographie et à la rhétorique des vanités sont d'ailleurs légion tout au long de la pièce : Bosola, le « malcontent », que sa mélancolie conduit à adopter le rôle conventionnel du satiriste virulent, se fait le porte-parole de cette tradition qui l'amène à dénoncer l'illusion des fastes et de la grandeur : « Comme le ver luisant ne brille qu'à distance,/ La gloire des Grands, de près, n'a ni feu ni brillance » (IV, ii).

Mais c'est surtout le cheminement tragique de la Duchesse d'Amalfi qui retient l'attention, de la sacralisation de l'amour charnel qui l'amène à courtiser l'homme qu'elle aime jusqu'à l'acceptation de la mort, lorsque ses frères lui feront parvenir un cercueil en guise de présent de noces : « Qui suis-je ? », demande-t-elle à Bosola, qui participe au charivari macabre de la danse des fous avant d'orchestrer le supplice de la jeune femme. « Tu es une boîte de semences vermifuges, au mieux, un coffret de poudre de momies. Cette chair, qu'est-elle ? un peu de lait caillé, un grotesque soufflé » (IV, ii). Le corps de la femme, dans la perspective satirique conventionnelle du temps, est doublement déchu : comme les deux frères de la Duchesse, Bosola dénonce la féminité comme source de tous les péchés, tout en étant lui-même grand libertin. Il reprend à son compte, à travers l'image du corps-prison, la méditation plus universelle sur la déréliction de l'être dans l'existence, essentielle à l'esthétique baroque. Cependant, tout endurci qu'il est, il se trouve ébranlé par la résignation de la Duchesse face à la mort, et par sa tranquille certitude qu'il n'y a peut-être rien à comprendre. Comme Hamlet, auquel on ne cesse de penser, la jeune femme découvre l'indifférence fondamentale face aux contingences. L'acte V, avec ses morts multiples, n'offre guère qu'une dérision de dénouement, dans un univers enténébré (« O monde crépusculaire !/ Dans quelle obscurité, dans quel puits de ténèbres,/ Vit une humanité pusillanime et lâche ! ») où règne une totale corruption. Pièce au baroque convulsif, La Duchesse d'Amalfi est une tragédie de l'homme sans Dieu, où le rachat est impossible. La folie ou la mort y apparaissent comme la seule alternative au mal.

— Line COTTEGNIES

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Écrit par

  • : agrégée d'anglais, ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, maître de conférences à l'université de Paris-VIII-Saint-Denis

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