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LA FABRIQUE DE L'ÉCRIVAIN NATIONAL (A.-M. Thiesse) Fiche de lecture

Après l’incendie de la cathédrale Notre-Dame en 2019, les ventes de Notre-Dame de Parisde Victor Hugo se sont envolées au point que le roman a été en rupture de stock dans plusieurs librairies. « Atteinte dans sa chair, dans son identité, dans son histoire », pour reprendre les mots de l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, la nation répond par la littérature. L’explication de ce phénomène se trouve au cœur du livre d’Anne-Marie Thiesse, La Fabrique de l’écrivain national.Entre littératureetpolitique(Gallimard, 2019). À partir du xviiie siècle, en effet, la littérature est considérée comme l’expression la plus authentique de ce qu’on peut appeler l’âme nationale : depuis, les écrivains incarnent leur nation par leur œuvre, mais aussi par leur personne. Et les nations, pour se constituer, sont tenues de composer un patrimoine littéraire.

Spécialiste d’histoire culturelle, Anne-Marie Thiesse est directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Elle a publié notamment Le Roman du Quotidien.Lecteurs et lectures populaires àlaBelleÉpoque (1984) et LaCréationdesidentitésnationales.Europexviiie-xxe siècle (1999). Son livre La Fabrique de l’écrivain national est souvent lu en dialogue avec celui de Régis Debray, qui récuse Stendhal comme écrivain le plus apte à incarner le génie français, aux dépens de Victor Hugo (Du génie français, 2019).

Au commencement était l’oralité

Au xixe siècle, la publication du patrimoine oral semble être la première condition de possibilité d’une littérature nationale. Dans toutes les nations européennes, de véritables expéditions sont montées pour recueillir les voix collectives et populaires. Ainsi, pour consoler la Prusse humiliée par les victoires napoléoniennes, Friedrich von der Hagen publie en 1807 le Nibelungenlied, sorte d’Iliade allemande écrite en haut allemand peu après 1200. L’écrivain national se fait donc d’abord le scribe des épopées, des chansons et des contes. Rien n’oblige d’ailleurs à ce que cette culture soit pleinement authentique : les Chants d’Ossian de James Macpherson, publiés à Londres en 1760 comme épopée celtique du iiie siècle de notre ère, ont connu une énorme popularité et postérité malgré leur caractère apocryphe. La France, d’abord déstabilisée par cette nouvelle historiographie qui risque de remettre en question une hégémonie fondée sur la littérature classique, exhume LaChansondeRoland, un manuscrit datant de 1100 environ. Toutes les nations, y compris les plus petites, ont leurs collecteurs-auteurs de chants épiques : en Estonie, on publie en 1857 l’épopée du Kalevipoeg,qui mêle des emprunts à l’oralité populaire avec beaucoup d’éléments de création. Dans cette lutte pour la plus prestigieuse culture patrimoniale, certains textes sont revendiqués par plusieurs nations : le RomandeRenart est ainsi l’enjeu d’une grande bataille entre Renart et Reinhart, le grand philologue allemand Jacob Grimm contestant les origines françaises de l’ensemble des récits médiévaux qui composent le roman.

<em>La Walkyrie</em>, R. Wagner - crédits : Historical Picture Archive/ Corbis/ Getty Images

La Walkyrie, R. Wagner

<em>Les Plaintes d’Ossian</em>, K. Károli - crédits : G. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Les Plaintes d’Ossian, K. Károli

Sur ce terreau ont pu surgir les premiers écrivains nationaux et se construire les genres caractéristiques du roman national – le roman historique à la Walter Scott, le roman réaliste à la Balzac –, la France et l’Angleterre étant les grandes nations bénéficiaires de cette modernisation de la figure de l’écrivain.

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Écrit par

  • : professeure des universités, université Paul-Valéry Montpellier 3, membre senior de l'Institut universitaire de France

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Médias

<em>La Walkyrie</em>, R. Wagner - crédits : Historical Picture Archive/ Corbis/ Getty Images

La Walkyrie, R. Wagner

<em>Les Plaintes d’Ossian</em>, K. Károli - crédits : G. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Les Plaintes d’Ossian, K. Károli