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LA FABRIQUE DE L'ÉCRIVAIN NATIONAL (A.-M. Thiesse) Fiche de lecture

L’écrivain, quintessence de l’esprit national

À compter du milieu du xixe siècle, les écrivains sont définitivement chargés de l’écriture du roman national. Ils l’élaborent à travers des poésies au lyrisme patriotique et des œuvres panoramiques qui décrivent l’éventail national des types sociaux. Au moment des éveils nationaux, ils composent des hymnes et des manifestes, montent des pièces engagées. La publication de la littérature dans les feuilletons des journaux permet une diffusion plus démocratique et une nouvelle implication des lecteurs dans la production du savoir, comme le montre l’intense courrier reçu par Eugène Sue lors de la publication en 1843-1844 des Mystères de Paris dans le Journal des débats.

Les écrivains eux-mêmes font l’objet d’un véritable culte. Morts, ils ont droit à des obsèques grandioses, à des commémorations, à l’érection de statues, ils donnent leur patronyme à des noms de rues, et sont intégrés dans le calendrier national. En 1880, un discours de Dostoïevski devant la statue de Pouchkine déclenche une hystérie idolâtre. À Paris, le Panthéon fait partie de ces lieux de mémoire même si, constate Anne-Marie Thiesse, les républiques successives y ont placé plus de scientifiques ou d’hommes politiques que d’écrivains. En même temps, la « panthéonisation » d’un écrivain se fait toujours au nom du symbolique comme on le voit avec Alexandre Dumas, engagé dans le combat contre la xénophobie, et donc célébré en 2002 moins pour son œuvre que pour son identité de « quarteron ». L’écrivain devient donc souvent l’enjeu de polémiques d’autant plus âpres que les enjeux sont en fait nationaux. C’est ainsi que, jusqu’à la chute du mur de Berlin, les deux Allemagne se disputeront Goethe et Schiller.

Alors que les productions des écrivains nationaux trouvent place dans les programmes scolaires, des œuvres sont également créées spécifiquement pour l’éducation par la littérature. L’équivalent du Tourde laFrancepardeuxenfants(1877) est en Italie Cuore (1886) d’Edmondo De Amicis, journal romancé tenu par un écolier de Turin et, en Suède, le MerveilleuxVoyagedeNilsHolgerssonàtraverslaSuède (1906-1907) de Selma Lagerlöf, première femme couronnée par le prix Nobel de littérature.

La surpolitisation du littéraire et la perte de l’indépendance des écrivains deviennent une menace constante au xxe siècle. Jamais autant d’écrivains n’ont été engagés que pendant la Première Guerre mondiale. Avec la montée en puissance des totalitarismes, la littérature se fait arme de combat en vue de la transformation de la société et de la consolidation du régime. Dans le monde communiste, beaucoup d’écrivains nationaux sont exclus de la scène publique, et disparaissent des programmes scolaires. Certains sont exécutés (Isaac Babel) ou marginalisés (Mikhaïl Boulgakov), tandis que d’autres, à l’instar de Maxime Gorki, sont glorifiés comme écrivains soviétiques. Dans l’Allemagne nazie, la mise au pas de la culture passe par la destruction des livres, la répression des écrivains juifs ou accusés de dénigrer la culture allemande. Après la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide, sans aboutir à de tels excès, va maintenir le caractère national de la littérature.

Au xxie siècle, à un moment où l’on constate la prolifération d’œuvres qui paraissent formatées pour un public mondial, assiste-t-on à la fin de l’écrivain national ? Pas vraiment. En témoigne, par exemple, la manière dont la Colombie et le Mexique se disputent la figure de Gabriel García Márquez. Partout se multiplient les maisons d’écrivains, les musées de la littérature, les parcours touristiques littéraires. La dernière partie de cet essai stimulant est l’occasion de se tourner vers les nations africaines qui rejettent l’hégémonie des anciens pays colonisateurs pour choisir des « classiques[...]

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Écrit par

  • : professeure des universités, université Paul-Valéry Montpellier 3, membre senior de l'Institut universitaire de France

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Médias

<em>La Walkyrie</em>, R. Wagner - crédits : Historical Picture Archive/ Corbis/ Getty Images

La Walkyrie, R. Wagner

<em>Les Plaintes d’Ossian</em>, K. Károli - crédits : G. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

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