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LA FABRIQUE DES SCIENCES MODERNES (S. Schaffer)

Le Britannique Simon Schaffer, né en 1955, professeur à l’université de Cambridge, est un des meilleurs historiens des sciences de sa génération, coauteur à l’âge de trente ans, avec Steven Shapin, d’un premier livre qui fit date, Le Léviathan et la pompe à air. Hobbes et Boyle entre science et politique (publié en anglais en 1985, traduit en français en 1993). Depuis lors, il a produit une œuvre dense et variée, sous forme de nombreux articles. Son ouvrage destiné au public francophone et intitulé La Fabrique des sciences modernes est une sélection pertinente de huit des articles (chacun correspondant à un chapitre du livre) qu’il a écrits en anglais ces vingt dernières années et qui ont été traduits par Frédérique Aït-Touati, Loïc Marcou et Stéphane Van Damme.

On retrouve dans ce livre ce qui a fait la force du Léviathan et la pompe à air. Dans ce dernier ouvrage, Shapin et Schaffer, rompant avec la « vieille » histoire des idées, proposaient une histoire des sciences inspirée du programme de la nouvelle sociologie des sciences des années 1970. La controverse entre Hobbes et Boyle autour de la pompe à air et de la méthode expérimentale était analysée symétriquement, c’est-à-dire sans référence au tribunal de la science moderne. Les faits expérimentaux étaient envisagés comme des constructions sociales mobilisant des technologies matérielles, rhétoriques et politiques. Finalement, la controverse scientifique était ramenée à une controverse politique portant sur les rapports entre l’ordre naturel et l’ordre social. Depuis l’écriture de ce livre, la pensée de Schaffer s’est complexifiée et son champ d’étude s’est élargi. LeLéviathan et la pompe à air portait en effet sur une période limitée, la Restauration anglaise (1660-1688). Dans ses travaux ultérieurs, l’historien a étendu la période jusqu’à la fin du xixe siècle. Et, tout en gardant comme terrain de prédilection la « science anglaise », il s’est aussi tourné vers l’Europe et le monde.

La mise en scène de la science

La Fabrique des sciences modernes s’ouvre (chapitre 1) par une phrase attribuée à Isaac Newton dans laquelle celui-ci se présente comme un enfant sur la plage, jouant avec des galets au bord de « l’océan inviolé de la vérité ». En réalité nous montre Schaffer, le casanier Newton, loin d’être isolé face au vaste monde, s’est trouvé, à Cambridge puis à Londres, au centre d’un formidable réseau d’informateurs qui lui a permis de rassembler les données indispensables à ses travaux. Au-delà de ce constat, l’auteur entend rappeler que la science moderne s’est développée dès ses débuts sur la base d’un système d’information à l’échelle mondiale que seule l’expansion commerciale et coloniale a rendu possible. On est loin de l’image répandue et fausse de l’homme de science isolé dans le secret de ses travaux, à l’écart de la société et du monde.

Schaffer revient ensuite (chapitre 2) sur un épisode bien connu de l’histoire de la théorie newtonienne de la gravitation au xviiie siècle : la confirmation de la loi de l’attraction universelle par le retour de la comète de Halley en 1759. Plutôt que d’une démarche consensuelle de vérification, nous explique Schaffer, cette confirmation résulte d’une véritable mise en scène de l’annonce de ce retour par un groupe de newtoniens réunis autour de l’astronome français Joseph-Nicolas Delisle. Approfondissant cette notion de mise en scène de la science, Schaffer s’intéresse aux rapports entre la pratique expérimentale et le spectacle au cours du xviiie siècle. Il montre (chapitre 3) comment la physique expérimentale a créé son propre public, quels en ont été les effets pour la pratique expérimentale elle-même et quelles réactions cela a provoquées en retour au sein même de la communauté des physiciens. Le cas emblématique des expériences[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire des sciences, université Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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