LA FABRIQUE DES SCIENCES MODERNES (S. Schaffer)
Standardiser l’expérimentation
Schaffer aborde également le xixe siècle (chapitres 6 et 7). Les nouvelles techniques de production industrielle et de contrôle social qui le caractérisent ont des effets majeurs sur la pratique scientifique. L’auteur analyse ainsi l’histoire de l’équation personnelle – la quantification des différences individuelles systématiques entre les divers observateurs astronomiques –, en montrant que celle-ci relève de l’organisation du travail astronomique et non de la psychologie. La discipline a permis en effet de calibrer l’observateur en le réduisant au statut de travailleur interchangeable au sein des observatoires. On retrouve les mêmes tendances dans le programme métrologique de l’ère victorienne. Comme l’illustre l’exemple du laboratoire Cavendish de Cambridge, un processus de standardisation transforme alors en profondeur la pratique expérimentale en réduisant, via les instruments de mesure, les spécificités locales et individuelles.
Le livre s’achève (chapitre 8) par une réflexion sur l’expérimentation à l’époque moderne à la lumière de la crise de confiance que traverse aujourd’hui la science des experts. Rejetant l’idée nostalgique d’une science qui aurait été autrefois transparente, Schaffer souligne l’extrême difficulté rencontrée par les physiciens du xviiie siècle pour convaincre le public et rappelle les moyens politiques, sociaux et moraux qu’ils ont dû mobiliser pour gagner la confiance et transformer ainsi les faits expérimentaux qu’ils produisent en des vérités partagées.
Ce bref survol ne donne qu’une idée imparfaite de l’ouvrage de Schaffer. C’est dans le détail, souvent surprenant et toujours suggestif, que se situe son principal intérêt. L’auteur fonde en effet ses analyses sur une description très précise des réalités, des hommes, des pratiques et des dispositifs matériels. Pour autant, le lecteur trouvera aussi dans ce livre de quoi nourrir sa réflexion sur l’histoire de la science. Car, selon Schaffer, chaque contexte politique et social détermine dans une certaine mesure la pratique expérimentale. Par un processus complexe, la science passe ainsi en deux siècles d’un régime d’autorité d’essence aristocratique, fondé sur la confiance interpersonnelle, à un régime de contrôle fondé sur la normalisation des procédures, caractéristique de la société industrielle.
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Écrit par
- Bruno BELHOSTE : professeur d'histoire des sciences, université Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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