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LA FAILLE DU TEMPS (J. Winterson) Fiche de lecture

La Faille du temps de la romancière britannique Jeanette Winterson (traduit de l’anglais par Céline Leroy, Buchet-Chastel, 2019) est le premier ouvrage d’une série lancée à l’initiative des éditions Hogarth pour commémorer le 400e anniversaire de la mort de Shakespeare. L’éditeur avait demandé à plusieurs écrivains dont Jeanette Winterson, Margaret Atwood, Tracy Chevalier ou encore Howard Jacobson de réimaginer les pièces de Shakespeare sous une forme romanesque et pour un public du xxie siècle. Jeanette Winterson, qui avait déjà proposé une réécriture audacieuse du mythe d’Atlas et Héraclès dans Weight (2005), choisit la « romance » pastorale Le Conte d’hiver, pièce tardive jouée pour la première fois en 1611, elle-même largement inspirée de Pandosto ou le triomphe du temps (1588) de Robert Greene. Winterson relève le défi littéraire audacieux de cette transposition générique en restant fidèle à l’intrigue de Shakespeare qu’elle adapte avec verve et humour à l’époque et à la langue contemporaines.

Entre hommage et innovation

La « reprise » de Jeanette Winterson s’ouvre sur une synthèse de la pièce de Shakespeare (« L’original ») avant de proposer trois actes fréquemment ponctués de dialogues et séparés par deux brefs entractes. Le royaume de Sicile du texte original est ici transplanté dans le Londres de la haute finance où Leo Kaiser, mari cupide, jaloux de son épouse et de son ami d’enfance, Xeno, ordonne l’abandon du bébé qui vient de naître et qu’il juge adultérin. L’enfant perdue, Perdita, est envoyée aux États-Unis dans une ville imaginaire de La Nouvelle-Bohême qui ressemble fort à La Nouvelle-Orléans. Là, elle est recueillie par Shep, un pianiste de bar afro-américain qui l’élève comme sa propre fille pendant seize ans. La « faille du temps » est celle qui sépare cet épisode tragique inaugural de la rencontre et de l’amour naissant entre Perdita et le fils de Xeno au cours d’une fête d’anniversaire aux allures shakespeariennes à La Nouvelle-Bohême, puis des retrouvailles entre les deux familles à Londres.

Cette libre adaptation du Conte d’hiver, oscillant entre tragédie et comédie, regorge de clins d’œil intertextuels savoureux (y compris à Winterson elle-même qui est nommée dans la notice Wikipédia fictive d’un des personnages) et permet à la romancière de dresser un portrait satirique de l’empire de la finance dans nos sociétés contemporaines. L’écrivaine déploie une langue tour à tour crue et poétique, saccadée et fluide et, comme à son habitude, brouille les frontières entre les genres (genres littéraires comme gender), affirmant par là même sa liberté créatrice, inspirée mais non muselée par le modèle shakespearien.

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Écrit par

  • : habilitée à diriger des recherches en études anglophones, professeure des Universités à l'École normale supérieure de Lyon

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