LA FAILLE DU TEMPS (J. Winterson) Fiche de lecture
Les lignes du temps
L’une des questions que pose le roman de Jeanette Winterson est de savoir si le temps est réversible et s’il est possible de réparer les dégâts causés seize ans plus tôt par l’aveuglement et la colère de Leo Kaiser, le mari jaloux. Celui-ci, repentant, aimerait reproduire la scène du film Superman (1978), où le super-héros remonte le temps pour sauver une femme de la mort. Seize ans plus tard, et alors que Perdita est sur le point de connaître l’histoire de ses parents biologiques, son père adoptif se voit offrir la voiture du film Retour vers le futur (1985), anticipant ainsi la confrontation des protagonistes avec leur passé ou celui de leurs parents. Winterson avait déjà perturbé la ligne du temps dans son ouvrage pour enfants L’Horloge du temps (2006), où des personnages étaient propulsés dans le passé et des créatures du Jurassique revenaient dans le présent. Dans La Faille du temps,la romancière bouscule de nouveau la chronologie, faisant débuter son roman par l’abandon de Perdita avant de remonter le temps jusqu’aux amitiés adolescentes homosexuelles entre son père biologique et son meilleur ami, et à leurs parcours divergents, puis de se projeter seize années après l’acte criminel du financier londonien. La Faille du temps est aussi le nom du jeu vidéo créé par Xeno où un bébé doit être retrouvé afin de sauver une ville de la destruction par des Anges noirs, où le temps peut « s’arrêter, accélérer ou ralentir » et où le joueur, apte à se déplacer dans le temps, peut espérer « défaire ce qui est arrivé ». Winterson s’amuse ainsi des conventions dramatiques et romanesques relatives à la temporalité et postule une flexibilité et une porosité du passé, du présent et de l’avenir.
Quand les retrouvailles entre les familles séparées sont advenues, Jeanette Winterson brise l’illusion romanesque, quitte la scène où sont réunis les acteurs et, à l’image de certains personnages shakespeariens, prend la parole pour offrir sa réponse optimiste à la possibilité du pardon : « Cette pièce parle du pardon et des futurs possibles – de la façon dont le pardon et le futur sont liés dans les deux sens. Le temps est bien réversible. » Winterson explique également pourquoi cette pièce l’habite depuis plus de trente ans. Comme Perdita, l’écrivaine est une enfant adoptée : son premier roman, Les oranges ne sont pas les seuls fruits (1985), offrait une version fictionnelle de son enfance tourmentée tandis que le récit autobiographique Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? (2011) revient sur ce parcours complexe et relate sa recherche, à l’âge adulte, de sa mère biologique. Après cet intermède de l’auteur, La Faille du temps se conclut sur les mots de Perdita, l’enfant retrouvée, qui affirme sa croyance en l’amour et offre ainsi une conclusion apaisée à ce Conte d’hiver réinventé.
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Écrit par
- Vanessa GUIGNERY : habilitée à diriger des recherches en études anglophones, professeure des Universités à l'École normale supérieure de Lyon
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