LA FAMILLE DE PASCUAL DUARTE, Camilo José Cela Fiche de lecture
Publié en 1942, sous le régime franquiste, dans l'après-guerre civile, ce premier roman de Camilo José Cela (1916-2002), alors âgé de vingt-six ans, fut salué comme un événement qui annonçait un renouveau littéraire. La violence et la brutalité du récit, autant que la technique narrative, procédant par accumulation de faits plus horribles les uns que les autres, rapportés sur un ton de froideur objective, dans un mélange étrange de cruauté et de tendresse, provoquèrent indignation et admiration. Un profond pessimisme sur la nature humaine semble inspirer cette mise en scène d'une destinée atroce, qui donna naissance en littérature à la mode du tremendismo, représentation exacerbée des choses les plus répugnantes.
Une confession atroce
Il s'agit de la confession rédigée, dans sa prison, par un criminel, condamné à mort, qui attend son exécution. Le manuscrit, daté de 1937, découvert en 1939, est retranscrit fidèlement, à l'exception, est-il précisé, « de quelques passages trop crus ». Pascual Duarte, paysan fruste d'une région aride d'Extrémadure, est alors âgé de cinquante-cinq ans. Sa vie s'est déroulée dans un décor sinistre. Une enfance sordide, dans une saleté repoussante ; un père, brutal, autoritaire, ivrogne, qui avait fait de la prison pour contrebande ; une mère revêche, battue comme plâtre par son mari, mais aussi violente et portée sur le vin que lui ; une sœur, vicieuse et rusée, qui prend la poudre d'escampette à quatorze ans et devient prostituée ; un frère dégénéré, auquel un porc mange les deux oreilles, et qui, à peine âgé de onze ans, se noie dans une bassine d'huile, tandis que son père, mordu par un chien enragé, meurt dans des souffrances atroces : « Je fus surpris de voir que ma mère ne pleurait pas, comme je m'y attendais, et se mettait à rire, et force me fut de refouler les deux larmes qui m'étaient venues lorsque j'avais vu le cadavre, avec ses yeux ouverts et pleins de sang, sa bouche entr'ouverte et sa langue violette à demi tirée. » La suite de la vie de Pascual ne sera que forfaits ou crimes. Après avoir violé et engrossé sa promise, Pascual l'épouse. Elle fait une fausse couche malencontreuse et leur deuxième enfant meurt en bas âge. « Celui que le destin poursuit n'y échappe pas même s'il se cache sous les pierres. » Ce constat désabusé donne le ton de toute la narration. Après plusieurs mois de cogitations, le condamné demande la visite de l'aumônier de la prison, à qui il se confesse. Reprenant son récit, il raconte son départ pour Madrid, puis pour La Corogne, dans l'espoir d'embarquer pour les Amériques afin d'y refaire sa vie. À son retour un nouveau drame éclate : sa femme l'a trompé ; Pascual tue l'amant dont elle était enceinte. L'instinct de tuer est plus fort que lui. Après trois ans passés dans le pénitencier, le voici libéré. Il se marie de nouveau, mais sa mère sème la zizanie dans son ménage. Une scène finale atteint le comble de l'horreur : Pascual, dans un ultime sursaut de fureur, tue sa mère, qu'il tient depuis longtemps pour responsable de ses malheurs. Sa confession est achevée, mais le récit se poursuit ; Pascual, en effet, a commis un nouveau crime ; il a tué le comte de Torremejía, un notable du lieu. C'est pour ce meurtre qu'il est condamné au supplice du garrot. Un rapport de la Garde et un commentaire de l'aumônier concluent le livre.
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Écrit par
- Bernard SESÉ : professeur émérite des Universités, membre correspondant de la Real Academia Española
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Autres références
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CELA CAMILO JOSÉ (1916-2002)
- Écrit par Bernard SESÉ
- 1 545 mots
- 1 média
La Familia de Pascual Duarte (La Famille de Pascual Duarte, 1942) est le récit écrit en prison, par un paysan d'Estrémadure, condamné à mort pour le meurtre de sa mère. À la mémoire du narrateur tout affleure, impitoyablement : l'enfance de misère, les parents monstrueux, la sœur prostituée, le frère...