LA FÉLINE, film de Jacques Tourneur
Avec Citizen Kane (1941) puis La Splendeur des Amberson (1942) d'Orson Welles, la compagnie Radio Keith Orpheum (R.K.O.) renouvelle le cinéma américain. L'arrivée de Val Lewton au poste de producteur constitue un autre tournant. Il est en effet chargé d'étendre le catalogue des films d'horreur de série B. Le premier d'entre eux sera La Féline (Cat People), réalisé par Jacques Tourneur (1904-1977). D'autres suivront, comme Vaudou (I Walked With a Zombie, 1943) et L'Homme-léopard (The Leopard Man, 1943) qui bousculent les conventions du genre. Ces réalisations jalonneront l'âge d'or des années 1940, jusqu'au rachat de la R.K.O. par l'excentrique Howard Hughes.
Rencontre entre un poète russe (Val Lewton) et un esprit cartésien (Jacques Tourneur), La Féline est un film-manifeste : on ne produit pas l'horreur en exhibant des monstres, mais en les dissimulant. La scène de la piscine – où une panthère invisible, à peine présente par quelques feulements, terrorise une jeune femme et impressionne le spectateur – reste l'emblème de cette esthétique de la suggestion. Tourneur faillit se faire renvoyer pour n'avoir pas filmé cette panthère, mais le succès du film fut tel –il battit à Los Angeles le record de durée d'exclusivité établi par Citizen Kane – que, au contraire, le cinéaste fit par la suite à la R.K.O. certains de ses meilleurs films, dans une réelle liberté.
D'une séduction létale
Jeune dessinatrice de mode serbe fraîchement arrivée à New York, Irena rencontre Oliver au zoo devant la cage de la panthère. Ils tombent amoureux, mais Irena a un secret : descendante d'adorateurs du démon, elle est susceptible de se métamorphoser en panthère noire sous le coup d'un affect violent. Mariée à Oliver, elle lui demande de ne pas la brusquer ; inquiet mais prosaïque, il l'envoie consulter un psychanalyste, le docteur Judd, qui ne comprend Irena que sous l'angle de la maladie mentale et refuse d'accepter son explication par la malédiction.
Irena apprend qu'Alice, la collègue de son mari, est au courant de leur vie conjugale difficile. Folle de jalousie, elle agresse une première fois la jeune femme dans une rue, la nuit, puis une seconde fois, dans une piscine déserte. Oliver réalise alors qu'il est, en fait, épris d'Alice, et il demande le divorce à sa femme. Celle-ci se rend à un rendez-vous avec le psychiatre, qui tente de la séduire, et qu'elle déchire de ses griffes – non sans avoir emporté un morceau de sa canne-épée. On la retrouvera morte devant la cage ouverte de la panthère, l'épée fichée dans son corps.
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Écrit par
- Jacques AUMONT : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, directeur d'études, École des hautes études en sciences sociales
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