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LA FERME DES ANIMAUX, George Orwell Fiche de lecture

Une fable politique

Si la forme de La Ferme des animaux doit beaucoup à l’admiration d’Orwell pour Jonathan Swift (Les Voyages de Gulliver, 1726) et Voltaire (Candide ou l’Optimisme, 1759), son contenu est indissociable du contexte politique de son écriture et de sa parution. Depuis 1917, la révolution russe et le régime communiste fascinent de nombreux intellectuels européens. Certains tentent bien de révéler la face cachée du régime soviétique, mais au lendemain de la victoire contre l’Allemagne nazie, le prestige de l’URSS est à son comble. Le livre d’Orwell vient donc pour le moins à contre-courant et on ne s’étonnera pas qu’il ait connu le succès d’abord aux États-Unis, pays du capitalisme-roi et de l’anticommunisme.

En rupture avec son milieu d’origine – militaire et colonial –, Orwell, en enquêtant parmi les clochards de Londres et de Paris, et les prolétaires du nord de l’Angleterre, au début des années 1930, s’est forgé des convictions socialistes qui l’ont conduit à s’engager dans la guerre d’Espagne auprès des républicains. Là, il a pu faire l’expérience des luttes intestines entre factions révolutionnaires et de la féroce répression communiste contre les rivaux du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste). Mais c’est, d’après le romancier, la conférence de Téhéran qui, réunissant en 1943 (deux ans avant Yalta) les ennemis d’hier, Churchill et Roosevelt, d’une part, et Staline, d’autre part, aurait donné à Orwell l’idée de cette fable.

La Ferme des animaux est un roman à clés, autrement dit un roman mettant en scène des personnages qui cachent des personnes réelles, résumant à grands traits la révolution russe et sa perversion stalinienne. Derrière les figures de Maréchal, de Boule-de-Neige et de Napoléon, on retrouve Lénine, Trotski et Staline. L’animalisme renvoie au marxisme-léninisme et le chant révolutionnaire « Bêtes d’Angleterre » évoque l’Internationale. La répression de toute opposition, les faux procès, la mise au ban des héros de la première heure, l’asservissement d’une population épuisée au travail et affamée, la constitution d’une oligarchie détournant toutes les ressources à son profit et se maintenant au pouvoir par la force (les molosses), mais aussi par la rhétorique et l’idéologie (Beau-Parleur) et, au final, la trahison des idéaux révolutionnaires dans une réconciliation intéressée avec l’exploiteur d’hier constituent autant de marques bien connues du stalinisme.

Il reste que le point de vue de l’auteur sur le projet révolutionnaire en tant que tel demeure incertain. La dérive totalitaire y est-elle inscrite par essence ? Ou la dictature serait-elle évitable, à condition que les Hommes gardent le contrôle de la révolution et la mènent à son terme ? Les animaux brillent ici par leur passivité, voire leur crédulité, et renoncent rapidement à agir sur le cours des événements. Orwell n’en éprouve pas moins à leur égard de la sympathie, conférant à certains d’entre eux l’ébauche d’une psychologie – Hercule, simple, mais dévoué à la « cause » ; l’âne Benjamin, cynique et sans illusion ; Fleur-de-Trèfle, généreuse et solidaire – et regardant avec compassion et admiration leurs sacrifices.

On peut ainsi voir dans leurs comportements la manifestation de la common decency, cette morale innée des gens simples dont l’écrivain a forgé le concept quelques années auparavant. La plupart n’en demeurent pas moins incapables de contester le pouvoir en place, que ce soit par adhésion ou par soumission. Quatre ans plus tard, dans 1984,Orwell élargira et approfondira ce constat en mettant l’accent sur les moyens sophistiqués de la mise sous tutelle des masses par tout un appareil d’État.

— Guy BELZANE

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  • ORWELL GEORGE (1903-1950)

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    La Ferme des animaux le stalinisme qui a remplacé les anciens exploiteurs par d'autres qui leur sont devenus identiques, comme le décrit habilement le dernier chapitre. Un schéma analogue se retrouve dans 1984, mais le contenu véritable dépasse celui du livre précédent. Bien qu'Orwell, probablement...