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LA FUITE SANS FIN, Joseph Roth Fiche de lecture

La paix n’est pas la fin de la guerre. Ceux qui font l’expérience la plus amère de ce douloureux paradoxe sont certainement les prisonniers retenus dans des camps et qui, une fois les hostilités terminées, doivent encore attendre plusieurs mois, voire des années, avant de pouvoir rentrer chez eux. Dans la période qui suit la Première Guerre mondiale, ce topos du Heimkehrer (« celui qui rentre enfin chez lui ») se retrouve chez de nombreux auteurs de langue allemande comme Bertolt Brecht, Alfred Döblin, ErichMaria Remarque, Ernst Toller ou Jakob Wassermann. Après avoir abordé ce thème dans les romans Hôtel Savoy (1924) et La Rébellion (1924), ainsi que dans la nouvelle « Humanité malade » (non datée), l’écrivain Joseph Roth (1894-1939), né dans l’Empire austro-hongrois, en fait le véritable sujet de La Fuite sans fin (Die Fluchtohne Ende.EinBericht), publié en 1927. Franz Tunda, le personnage principal de ce récit, est le prototype de ces soldats qui constituent ce que l’on a appelé « la génération perdue » : celle qui ne se sent désormais nulle part à sa place, tant le traumatisme de la guerre et de la captivité a rendu ces « revenants » étrangers au monde qui était le leur auparavant.

D’est en ouest : à la recherche d’un monde perdu

« Il avait été fait prisonnier en 1916 et avait été conduit dans un camp en Sibérie. Il avait réussi à s’évader. Depuis, il avait vécu dans les forêts de Sibérie avec un chasseur qui possédait une maison en bordure de la taïga. » Ainsi est présenté Franz Tunda dès la première page du récit. Après avoir quitté le trappeur sibérien, moins par nostalgie de son pays que par amour pour Irene, avec qui il s’est fiancé, peu avant le début de la Grande Guerre, et dont il garde la photographie contre son cœur, Tunda tombe aux mains d’un détachement de l’Armée rouge. D’abord accusé d’espionnage au profit des Blancs, les soldats des formations militaires restées fidèles au tsar qui ont combattu le pouvoir bolchevique en Russie, il séduit à son corps défendant la cheffe du détachement, une fougueuse amazone bolchevique répondant au nom de Natascha Alexandrovna, et devient un combattant de la révolution. Néanmoins, Tunda ne se reconnaît pas dans l’idéologie des nouveaux maîtres de la Russie, devenue l’Union soviétique, et son amour pour l’inflexible Natascha s’étiole.

Envoyé en mission culturelle dans le Caucase, Tunda épouse Alja, une jeune femme aussi belle que mutique. Peu après, il fait la connaissance de Français, en voyage à Bakou, qui lui donnent définitivement envie de revoir l’Ouest. Ayant obtenu des papiers à l’ambassade d’Autriche à Moscou, Tunda part en abandonnant Alja et rentre à Vienne, où il espère retrouver Irene, son ancienne fiancée. Dès son retour, cet homo viator a néanmoins l’impression de ne pas être chez lui dans cette Autriche qu’il ne reconnaît plus. Ayant appris qu’Irene s’est mariée et vit à Paris, il rejoint d’abord son frère, chef d’orchestre en Rhénanie, et arrive en 1926 dans la « capitale du monde ». Néanmoins, quand enfin a lieu la rencontre tant espérée et qu’il croise Irene, l’anagnorisis est un fiasco : la jeune femme le voit, mais ne reconnaît pas Tunda. Dix années d’errances et d’illusions se referment en une amère parenthèse.

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