LA GLOIRE et L'INDIVIDU LITTÉRAIRE (D. Oster)
Dans le langage pictural, la gloire évoque l'auréole enveloppant le corps du Christ, le nimbe signalant la présence divine. De fait, c'est bien comme une icône de la modernité que Mallarmé nous apparaît aujourd'hui, ou encore comme le prophète d'une conception de la littérature qui a commencé à se formuler au cours du xixe siècle. « Mallarmé », davantage qu'à la signature du nom propre attestant d'une présence effective, ne renvoie ici qu'au pur rayonnement de l'œuvre, celle-ci remodelée et comme redessinée pour mieux laisser transparaître, en chacune de ses facettes, son double obsédant – ce Livre qui aurait dû venir la couronner.
Pourtant, la gloire ne désigne pas seulement le mystère qui habiterait une œuvre fantôme. À ce mot, Mallarmé a voulu donner une tout autre réalité. Et s'il a glissé au journaliste Jules Huret que « le monde est fait pour aboutir à un beau livre », il a aussi écrit que « rien ne transgresse les figures du val, du pré, de l'arbre », et intitulé « La Gloire », précisément, un court texte où l'éclat de la forêt en automne et la silhouette qui s'avance vers les arbres esquissent à leur tour une manière de liturgie, antérieure à toute lecture, à toute écriture. En baptisant son livre du même titre : La Gloire (P.O.L., 1997), Daniel Oster dit assez son intention de superposer, à la contemplation de l'œuvre en apothéose mais dépossédée d'elle-même, une vision plus oblique et familière à la fois. À ce choix de départ, un préalable nécessaire : le refus, à propos de Mallarmé, de tracer quelque frontière que ce soit entre ce qui serait du domaine de l'« œuvre » (Poésies, Divagations, Un coup de dés, et tout matériau censé garder trace du projet du Livre), et ce qui en constituerait les à-côtés mineurs (entre autres les poèmes de circonstance, une bonne partie de la correspondance, La Dernière Mode). Une hypothèse qu'avait déjà formulée Roger Dragonetti (Un fantôme dans le kiosque, Seuil, 1992) lorsqu'il avait réinventé le Livre à partir de ces textes. Mais Daniel Oster, loin de viser à la reconstitution, même fantasmatique, s'efforce plutôt d'arpenter le tout de l'œuvre, ses replis, ses parages, et jusqu'aux stéréotypes auxquels elle a donné lieu. Écrits, propos rapportés, fragments de journaux intimes (Henri de Régnier), bribes romanesques (André Gide, Camille Mauclair), mythographies et biographèmes (Paul Valéry) sont alors considérés comme autant d'événements textuels renvoyant à un sujet qui serait Mallarmé, mais aussi comme autant de répliques, d'apartés et de postures où l'on voit se constituer la fiction du moi – de cet autre que l'on devient pour soi. Refuser la sacralisation du Livre et l'effacement de l'auteur, ce n'est pas rétablir le strict lien unissant l'homme et l'œuvre, mais éclairer sous divers angles le théâtre intime d'un dédoublement où l'homme et l'œuvre échangent leurs apparences. Multiple, instable, l'œuvre n'est plus ce monument qu'on visite, impressionné : elle renvoie plutôt à un enchaînement de mimiques et de jeux de scène surdéterminés, soit à un suprême histrionisme dont Mallarmé a lui-même suffisamment suggéré la poétique.
« „Ma méthode ?“, demande Thomas. Réponse : „Je n'en ai pas. Sauf ceci : ne considérer que les gestes, et comme gestes, les paroles, écritures, adresses, mouvements, déplacements, dispositions sur la page, dans la ville, dans l'esprit, ouvertures, retraits, relations, blancs, échos, ellipses, rythmes, emplois du temps, du corps, regards, et finalement la multiplicité des faits, verbaux ou non, des interventions diverses qui se rassemblent sous le nom de Stéphane Mallarmé“. » Tout fait signe ici, tout doit[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Gilles QUINSAT : écrivain
Classification