LA GRANDE BOUFFE, film de Marco Ferreri
Une allégorie de la société de consommation
Le film est bien évidemment une parabole, mais Ferreri se garde bien d'en donner les clés. Il décrit le comportement de ses quatre héros avec une sorte d'ironie « affectueuse et distanciée », comme l'avait bien remarqué Serge Daney. Il s'agit bien de « bouffe » et non de dégustation gastronomique. Les personnages ne sont pas mus par la faim et n'expriment pas davantage la gourmandise. Si, au départ, ils passent par une phase de dégustation, rapidement, c'est la gloutonnerie qui règle leur attitude. Il s'agit d'ingurgiter la plus grande quantité possible de nourriture jusqu'à s'en faire « péter la sous-ventrière » comme le dit une expression populaire, et comme cela arrive littéralement au personnage qu'incarne Michel Piccoli. En cela, Andréa s'oppose aux quatre complices. Elle est la seule à exprimer la gourmandise, par le regard, le mouvement des lèvres et les mimiques. C'est qu'elle est venue, elle, pour découvrir le plaisir sous toutes ses formes et non pour ingurgiter des aliments jusqu'au dernier soupir. Elle offre généreusement ses rondeurs à chacun d'eux, mais se comporte bien, en définitive, comme une mante religieuse, une sœur de l'ape regina du Lit conjugal.
Le film pose d'emblée une contradiction entre le désir de manger et la pulsion sexuelle. C'est d'ailleurs pourquoi Marcello est le premier à mourir, le corps raide et gelé au volant de sa Bugatti. Chez lui, le désir sexuel prend le pas sur la pulsion orale, alors qu'elle détermine le comportement des trois autres protagonistes. Si Philippe est le dernier à survivre, c'est qu'il est le plus régressif, celui dont la sexualité est restée infantile, liée au stade oral et anal.
C'est donc un film sur la dégénérescence physique et la scatologie, plus que sur la débauche et le fantasme orgiaque. D'où la fréquence des manifestations digestives les plus sonores et la mort atroce de Michel, pourtant le seul qui se souciait du bien-être de son corps avec ses exercices de musculation. Ce qui intéresse avant tout Marco Ferreri, c'est la pourriture provoquée par l'excès de nourriture, le délabrement physiologique des corps. On comprend alors que sa fable scatologique ait pu choquer le grand public venu se divertir avec un film « cochon ».
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Écrit par
- Michel MARIE : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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