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LA GUERRE DE TROIE N'AURA PAS LIEU, Jean Giraudoux Fiche de lecture

Un mythe réactualisé

Avec La guerre de Troie n’aura pas lieu, publiée entre Amphitryon 38 et Électre(1937), Giraudoux s’inscrit pleinement dans la vogue artistique et littéraire ‒ en particulier théâtrale ‒ du « retour à l’antique ». Cet engouement pour l’Antiquité voit se succéder, à partir de l’entre-deux-guerres, les Œdipes (Gide, Cocteau, Anouilh), les Antigones (Cocteau, Anouilh), les Électres et Orestes (Sartre).

Le succès de ces réactualisations de mythes, tragédies et récits grecs tient en partie à la complicité qu’elles instaurent avec le public, sur fond de culture partagée. Tout spectateur de 1935 connaît l’histoire et les personnages de LIliadeet, plus que l’intrigue elle-même, donnée d’avance, il se délecte des anachronismes (Demokos « photographiant » Hélène, le conseil des intellectuels…), des décalages de registres (« Je sors d’en prendre », « Elle n’en manque pas une », etc.), des citations détournées (« C’est là toute la question », « Un seul être vous manque, et tout est repeuplé… ») et, bien sûr, des références à l’actualité.

Celles-ci font le sujet même de la pièce. La montée des totalitarismes et le spectre d’un nouveau conflit (l’Allemagne de Hitler vient de rétablir le service militaire) ont tout pour inquiéter nombre d’anciens combattants de 1914-1918 comme Giraudoux, blessé deux fois et décoré, fervent tenant du « plus jamais ça ». À cet égard, il n’est pas fortuit que la pièce ait été de nouveau beaucoup jouée dans les années 1960, en pleine guerre froide. Les deux camps, l’un pacifiste et l’autre belliciste, qui s’affrontent chez les Troyens, des personnages comme Demokos, le poète va-t-en guerre, les revanchards du « conseil des intellectuels » (qui renvoie, par antiphrase, au mouvement ultranationaliste de l’Action française) ou encore Businis, le pseudo expert en droit international, la rencontre Ulysse-Hector « au bord d’un lac » (comme les conférences internationales de Locarno, de Lausanne et de Stresa) constituent autant d’allusions aux diverses postures adoptées devant les menaces de conflit. À l’évidence, La guerre de Troie n’aura pas lieu se veut un plaidoyer pacifiste, qu’on a pu reprocher à l’auteur, au moment de sa publication et davantage encore rétrospectivement (les accords de Munich surviendront trois ans plus tard).

Toutefois, Giraudoux donne à son texte une dimension psychologique et morale plus que philosophique et politique. S’il affirme avoir écrit une tragédie, celle-ci n’a plus grand-chose à voir avec Euripide ou Racine. Sans doute la fatalité, incarnée par Cassandre, est-elle bien présente, et nul n’ignore que le titre est une antiphrase. Mais la force du destin apparaît moins comme celle des dieux, qui préfèrent laisser les mortels se débrouiller entre eux (c’est le sens du message de Zeus transmis par Iris, à la fin du second acte), que comme celle de l’aveuglement des hommes, prisonniers de leur passivité, plus que de leur passion.

Car cet autre grand ressort tragique semble étrangement absent de la pièce. Si l’on excepte le fanatique mais ridicule Demokos, tous les personnages paraissent frappés par un manque de conviction, qui les fait changer d’avis avec facilité. Ni l’amour entre Pâris et Hélène, très vite disqualifié en amourette de passage, ni l’orgueil de Priam, aisément retourné lui aussi, ni le fatalisme d’Ulysse, conclu par une volte-face brutale et inattendue, ni, dans l’autre camp, la foi en la vie d’Andromaque et le désir de paix d’Hector ne sont assez fermes pour infléchir le cours des événements. En fin de compte, un hasard (le surgissement d’un second rôle, Oiax, plus mû par l’ivresse que par une réelle volonté d’en découdre) et le coup de théâtre final, matérialisé par les hésitations du rideau de scène, décideront du dénouement. Nulle ubris[...]

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  • GIRAUDOUX JEAN (1882-1944)

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    • 1 média
    ...méditations sur les problèmes éternels de l'amour, de la condition humaine, de la guerre. Dans son travesti mythologique, l'actualité est bien reconnaissable (La guerre de Troie n'aura pas lieu, 1935), et Giraudoux peut se prendre pour le penseur politique de son temps (Pleins Pouvoirs, 1939).