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LA LEÇON DE PEINTURE DU DUC DE BOURGOGNE (A.-M. Lecoq)

Du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, Saint-Simon disait qu'il « était né avec un naturel à faire trembler. [...] Le prodige est qu'en très peu de temps la dévotion et la grâce en firent un autre homme ». Celui qui réussit à opérer une telle métamorphose ne fut autre que son éducateur, l'abbé Fénelon, nommé à ce poste en août 1689, alors que le prince, fils aîné du Grand Dauphin, était âgé de sept ans. Ce fut peut-être l'expérience de sa propre éducation, plutôt négligée, qui poussa Louis XIV à prévoir pour les princes du sang une instruction exigeante, à commencer par celle du Dauphin, qu'il confia aux soins de Bossuet en 1670. Mais alors que, dans ce cas, l'austère génie du futur évêque de Meaux subit un échec cuisant, le duc de Bourgogne, sous la direction de Fénelon, devint vertueux et studieux, frôlant le mysticisme.

Le programme éducatif développé par Fénelon, s'inspirant en partie de celui de Bossuet, s'appuyait sur une initiation à la littérature, à la philosophie et aux arts, entendus comme vecteurs d'une éducation morale, mais aussi considérés comme indispensables au développement d'un jugement esthétique autonome chez un prince devant affronter la conversation cultivée de la cour. On se rappelle que Louis XIV, un jour forcé de parler de peinture devant son hôte Bernin, dit en toute franchise que « s'il se fût appliqué de bonne heure à considérer les tableaux, il se serait connu en peinture, mais qu'il ne les regardait que depuis trois ou quatre ans » (Journal de voyage du Cavalier Bernin en France, par Paul Fréart de Chantelou). C'est précisément l'initiation à la peinture, dispensée au jeune duc par le truchement de deux tableaux de Poussin, qu'a choisie Anne-Marie Lecoq dans La Leçon de peinture du duc de Bourgogne. Fénelon, Poussin et l'enfance perdue (Le Passage, Paris, 2003), pour aborder de manière encore inédite Fénelon comme éducateur artistique, fin connaisseur des débats théoriques qui agitaient le monde des arts, mais aussi soucieux de transmettre au prince une vision du monde qu'il jugeait juste pour la conduite de la France « vieillissante et corrompue » de la fin du xviie siècle.

Fénelon a composé entre 1692 et 1696, à l'intention de son élève, quelque quatre-vingts Dialogues des morts, à l'imitation d'un genre en vogue à l'époque de l'Antiquité tardive. Deux tableaux de Poussin, le Paysage avec les funérailles de Phocion et le Paysage avec un homme tué par un serpent, font l'objet d'entretiens menés aux Champs Élysées par le peintre français avec Parrhasios d'Éphèse, le fameux artiste grec du ve siècle avant J.-C., et Léonard de Vinci. Les deux dialogues – reproduits intégralement au début du présent ouvrage – contiennent un condensé des principes esthétiques d'un poussiniste modéré. Il aurait été impensable de proposer au petit-fils du roi un modèle autre que français, or Poussin, proclamé chef d'école par une large part de la déjà riche littérature d'art en France, était salué par les Italiens mêmes comme le modèle de l'artiste accompli. L'ensemble était conçu comme un miroir où le prince pourrait se reconnaître dans la grandeur d'âme du peintre philosophe.

La plus grande partie de l'essai d'Anne-Marie Lecoq est consacrée à une analyse très fine et serrée des contenus doctrinaux des deux dialogues, notamment des termes de la critique d'art qu'utilise Fénelon. L'entretien de Poussin avec Parrhasios est éclairé à la lumière de la querelle des Anciens et des Modernes, celui de Poussin avec Léonard, à la lumière de celle des Italiens et des Français. Finalement, les contenus moraux des deux compositions poussiniennes s'en dégagent, en deux drames humains érigés comme autant d'avertissements implacables, sur fond[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en histoire de l'art à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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