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LA LÉGENDE DES SIÈCLES, Victor Hugo Fiche de lecture

L'épopée humaine écroulée

On tient généralement La Légende des siècles pour une épopée. Or, s'il y a bien dans le recueil un souffle, une tonalité épiques, la possibilité même d'une épopée moderne s'avère, aux yeux de Hugo, problématique : « Ce livre, c'est le reste effrayant de Babel/ C'est la lugubre Tour des Choses, l'édifice/ Du bien, du mal, des pleurs, du deuil, du sacrifice,/ Fier jadis, dominant les lointains horizons,/ Aujourd'hui n'ayant plus que de hideux tronçons,/ Épars, couchés, perdus dans l'obscure vallée ;/ C'est l'épopée humaine, âpre, immense – écroulée. » (« La vision d'où est sorti ce livre »).

En lisant ces vers, on comprend mieux le titre initial, « Les Petites Épopées », sorte d'oxymore (comment une épopée peut-elle être petite ?) qui dit assez que l'œuvre ne saurait être, à l'image d'une histoire fragmentée, atomisée (« Au lieu d'un continent c'était un archipel »), qu'une juxtaposition de récits, sans véritable architecture. « Épopée humaine », La Légende des siècles sera donc aussi une épopée « écroulée » !

Ces 61 chapitres offrent pourtant une unité et un sens, à la fois politique, religieux, et philosophique. Le Victor Hugo de 1859, converti à l'idéal républicain, joint désormais sa voix à celle des prophètes du Progrès. À travers l'évocation de l'éternel combat du Bien et du Mal (avec son cortège d'antithèses chères au poète : liberté/servitude, lumière/ténèbres, faibles/puissants...), lutte à la fois cosmique, mythique et proprement humaine, se dégage en effet la vision messianique d'une humanité bientôt délivrée de ses liens, et délivrée par sa part la plus humble : « les petits », « les pauvres gens ». La Légende des siècles devient alors une sorte d'Apocalypse, annonçant, après le combat final avec le démon – ici, la tyrannie –, l'éternelle félicité. Une apocalypse dont le saint Jean serait Hugo lui-même, poète-prophète, poète-mage, poète-voyant (« J'eus un rêve : le mur des siècles m'apparut »), qui va puiser aux sources les plus diverses, et mobiliser les registres littéraires les plus variés pour peindre cette fresque gigantesque. Le paradoxe d'une somme éclatée se retrouve alors dans l'écriture hugolienne : si la poésie de La Légende des siècles est bien une « poésie totale », c'est précisément dans la mesure où elle est monstrueuse et protéiforme, tour à tour épique, lyrique, satirique. C'est aussi pourquoi nulle part peut-être plus qu'ici le vers hugolien n'a trouvé à donner la mesure de sa richesse, de sa souplesse et de sa variété.

— Guy BELZANE

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