Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LA LETTRE ÉCARLATE, Nathaniel Hawthorne Fiche de lecture

L'amour interdit

Belle, généreuse, admirable, Hester Prynne incarne la croyance toute romantique en l'innocence fondamentale de la nature, qui permet à l'homme de se fier à son instinct moral. Elle revendique le droit d'aimer, de vivre, de s'épanouir intellectuellement, physiquement et sexuellement, de se cultiver, en bref d'être l'égale d'un homme. Elle serait capable de sauver celui qui a osé l'aimer et l'aider à être elle-même. Hawthorne est le seul écrivain de son temps à peindre de la sorte la féminité américaine. Il laisse éclater dans ce roman sa révolte contre l'hégémonie paternaliste d'alors, qui inspirera une Margaret Fuller ou les transcendantalistes.

Dans une scène splendide et cruciale qui se passe dans la forêt, au cœur du livre, Hester, la femme condamnée mais irréductible, arrache et jette au loin la lettre infamante : « Mais la lettre brodée gisait à terre, scintillante comme un bijou perdu que quelque vagabond malchanceux viendrait peut-être à ramasser pour être hanté, ensuite, par des tristesses, d'étranges fantômes de péché et une malchance inexplicables. ». Puis elle ôte son bonnet pour laisser flotter librement sa chevelure. À ce moment, le soleil vient illuminer sa silhouette, l'entourant d'une glorieuse auréole en signe d'approbation et de pardon. L'héroïne substitue ainsi la bienveillance et la vie séminale incarnées dans l'univers naturel et païen au jugement des hommes, aux codes rigoureux d'une religion révélée et aux velléités d'un homme d'Église qui ne parvient pas à accepter son corps. Le révérend Dimmesdale, en effet, fait bien preuve d'une sensibilité d'artiste, mais ne voit dans la sexualité qu'entrave à la sainteté et une tentation de la chair. Son attrait pour la mortification l'emporte sur l'élan vital qui porte Hester vers la nature et l'instinct. Hawthorne se place ici dans une perspective qui ne manquera pas d'inspirer D. H. Lawrence.

Dans La Lettre écarlate, le style de Hawthorne dépasse l'allégorie puritaine pour éclater dans des images poétiques et des métaphores chatoyantes (à l'image de la lettre qui resplendit sur le corsage d'Hester), dans le parcours d'une phrase qui serpente et qui suit la mélodie profonde de la hantise personnelle. Annonçant les labyrinthes de la conscience faulknérienne, et bien différent ici de la rhétorique un peu simpliste de La Maison aux sept pignons (1851), le récit exploite l'ambiguïté propre au genre du romance, en utilisant la dialectique entre le réel et l'imaginaire pour suggérer le monde qui existe sous la surface des choses.

En 1926, La Lettre écarlate a été adaptée au cinéma par Victor Sjöström, avec Lilian Gish dans le rôle de Hester.

— Michel FABRE

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Autres références

  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par , , , , , , et
    • 40 118 mots
    • 25 médias
    La Lettre écarlate (The Scarlet Letter, 1850) de Hawthorne, par exemple, n'a de sens que si l'on admet la présence et l'omniprésence réelles de cette lettre, de ce symbole ; c'est le véritable personnage central de l'ouvrage. Les rapports psychologiques entre les coupables sont en définitive conçus...
  • GOTHIQUE LITTÉRATURE & CINÉMA

    • Écrit par
    • 6 313 mots
    • 5 médias
    Dans The ScarletLetter (1850) et The House of the Seven Gables (1851), Nathaniel Hawthorne évoque le passé calviniste et traumatique de l’Amérique et explore le concept puritain du mal. Ses nouvelles revisitent des motifs gothiques comme la vaste demeure, la forêt hantée ou le portrait animé, mais mettent...
  • HAWTHORNE NATHANIEL (1804-1864)

    • Écrit par
    • 2 344 mots
    • 1 média
    Toutes ces expériences, tous ces itinéraires convergent vers une même œuvre centrale : La Lettre écarlate (The Scarlet Letter, 1850). Hawthorne a fait dans ce livre la somme de son moi et de ses tendances contradictoires. On y trouve réunis, dans une même sphère de fatalité sans issue, dans un...