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LA LIGNE ROUGE (T. Malick)

Plus de vingt ans après ses deux premiers films, La Ballade sauvage (1973) et Les Moissons du ciel (1978), le cinéaste américain Terrence Malick a réalisé La Ligne rouge (ours d'or du festival de Berlin 1999), un film remarquable sur la guerre, la nature et la condition humaine

Librement adapté du roman de James Jones, La Ligne rouge est un film de guerre dont l'action évoque une phase clé de la bataille du Pacifique qui, à partir de 1942, opposa Américains et Japonais dans l'île stratégique de Guadalcanal (l'une des îles Salomon située à l'est de la Nouvelle-Guinée). Le récit s'attache cependant moins au déroulement d'une opération militaire et à la description des combats qu'aux réactions des soldats de la C Company placés sous les ordres du lieutenant-colonel Tall (Nick Nolte).

Hurlements d'un homme blessé, découverte de corps inanimés et mutilés, bouts de cigarettes que l'on s'enfonce dans le nez pour lutter contre l'odeur des cadavres, combats au corps à corps, coups de feu tirés à bout portant dans le village occupé par les soldats japonais : au réalisme observé dans les réactions des combattants se superpose celui qui est inhérent à la description des situations de guerre. En fait, la guerre impose à tous une règle simple : « tuer ou être tué ».

Pourtant, davantage qu'un film de guerre, La Ligne rouge se révèle un film sur des « hommes en guerre » qui, à bien des égards, tranche avec les conventions du genre. Si Terrence Malick observe le comportement des soldats pris dans un engrenage meurtrier, il tient surtout à nous faire partager les états d'âme des combattants américains. Ainsi, par deux fois, un jeune soldat qui a abattu un Japonais s'écrie : « J'ai tué un homme ! » Dans ce récit de guerre, Terrence Malick introduit à plusieurs reprises (sous forme de flash-back) des souvenirs et des fantasmes du temps de paix, tandis que de nombreuses voix off – celles des soldats Witt (Jim Cavierel) et Bell (Ben Chaplin), du lieutenant-colonel Tall, en particulier – expriment des monologues intérieurs qui superposent au récit en images des combats, des sensations ou des perceptions du passé, en un jeu de « correspondances » qui apporte à la fois humanité et sensibilité à un film de guerre.

Ample – près de trois heures de projection – et dense, le récit de La Ligne rouge est marqué par une double dialectique : entre mouvement et immobilité, entre silence et bruit. Le débarquement, la progression de la compagnie dans l'île, le déplacement des soldats au milieu des herbes hautes, le corps penché en avant, l'attaque de la colline sont suivis par de lents travellings (avant, arrière ou latéraux), alors que les combats rapprochés dans le village sont filmés en mouvements de caméra – travellings et panoramiques – ultrarapides. En contrepoint, des cadrages prolongés observent, en plans fixes, les soldats immobiles entre deux phases de combat.

Le silence règne pendant le débarquement et la marche vers la colline. Un silence pesant, imprégné de crainte : invisible, l'ennemi n'est-il pas caché, prêt à vous prendre pour cible ? À ce silence s'opposent les bruits assourdissants des tirs de canons, des explosions d'obus, des rafales de mitrailleuses. C'est dans ce fracas de coups de feu que la mort décime. Mais elle peut aussi surgir de la forêt quand apparaissent, le casque recouvert de branchages, les soldats japonais qui encerclent Witt, incapable de se défendre, comme fasciné par les regards de ces innombrables ennemis.

Ligne de sang, la « ligne rouge » sépare les deux camps ennemis, frontière entre deux territoires où s'amoncellent les cadavres. Avec une grande puissance de suggestion, Terrence Malick nous fait percevoir que, pour être parfois nécessaire, la guerre n'en transforme pas moins la nature en enfer[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, critique de cinéma

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