LA LITTÉRATURE À L'ÈRE DE LA PHOTOGRAPHIE (P. Ortel)
Dans son ouvrage La Littérature à l'ère de la photographie (collection Rayon Photo, éditions Jacqueline Chambon, Nîmes, 2002), Philippe Ortel convie ses lecteurs à une enquête inédite dans l'univers de la création littéraire du xixe siècle. En analysant les bouleversements esthétiques, stylistiques et formels de la littérature à travers le filtre de ce que Victor Hugo appela la « révolution photographique », il nous conte les conditions d'intégration de l'esthétique photographique par la littérature. Révélée au monde sous la forme du daguerréotype, en 1839, la photographie est perçue alors comme l'une des inventions les plus importantes du siècle : pour la première fois une machine était capable d'enregistrer puis de livrer une image automatique et exacte du monde visible. Un débat s'engagera alors très vite non seulement sur la valeur à accorder à ces nouvelles images, mais également sur le statut du photographe.
Artisanat dans les premiers temps, la photographie intégrera pourtant rapidement l'industrie de la production des images. En entrant alors dans les usages, qu'ils soient scientifiques, politiques ou privés, la photographie fit rapidement oublier son caractère « révolutionnaire » pour figurer au rang des produits de consommation courante. Et c'est ainsi que, recevant les faveurs de la foule, elle se trouva non seulement méprisée par les artistes mais également minimisée comme phénomène social et esthétique, capable d'influencer la création.
Pourtant, par-delà les anathèmes, le bouleversement que représente l'irruption de la photographie dans l'univers de la communication visuelle n'a pas laissé les artistes indifférents, loin s'en faut. On connaît l'influence qu'a pu avoir la vision photographique sur l'impressionnisme, et au-delà sur les beaux-arts en général. Mais le défi lancé par Philippe Ortel est de rendre visibles les effets de cette révolution photographique sur la littérature. Car la photographie n'est pas seulement une image sur un morceau de papier, c'est aussi la machine qui l'a produite, l'opération qui lui a donné naissance, le choix entrepris par l'opérateur, et la « vie » de cette image particulière dans la sphère sociale et artistique. Ainsi, pour cet art de la représentation qu'est la littérature, la photographie remet en cause une multitude de paramètres depuis l'acte de création jusqu'à la diffusion de l'œuvre : rapport entre objectivité et subjectivité, opposition entre fiction et réalité, choix des sujets jugés dignes d'accéder à la représentation, prédominance du visible sur le savoir, accessibilité des sujets traités, don d'ubiquité renouvelé... Philippe Ortel repère trois composantes communes aux actes de création photographique et littéraire, trois composantes qui sont autant de prises en compte par les écrivains de la photographie, qui, de repoussoir, se transforme alors en modèle : une scène de création commune, où la chambre noire devient le symbole du lieu de projection de la création littéraire ; un cadre de référence commun lorsque la littérature s'interrogera sur le choix et le traitement de sujets nouveaux ; enfin un « interprétant » commun, la photographie, par son appréciation nouvelle du réel et sa photogénie, a pu inspirer voire conditionner le regard des écrivains sur le monde.
En traquant les mentions relatives à la photographie dans les textes connus et moins connus de la littérature du xixe siècle, Philippe Ortel y repère ces points de contacts derrière lesquels se profilent des rapports plus profonds touchant à l'évolution même de la littérature. L'enquête débute dès les années 1820, alors que nous n'en sommes qu'aux toutes premières expérimentations sur la fixation de l'image produite par la chambre noire mais[...]
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Écrit par
- Paul-Louis ROUBERT : historien de la photographie, maître de conférences à l'université de Paris-VIII
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