LA LOGIQUE DU VIVANT (F. Jacob) Fiche de lecture
En 1970, François Jacob, lauréat du prix Nobel de physiologie ou médecine en 1965 avec André Lwoff et Jacques Monod pour leur découverte de mécanismes de contrôle de l’expression des gènes, publie La Logique du vivant. Une histoire de l’hérédité (Gallimard). Cet ouvrage majeur à la fois pour les biologistes et pour les philosophes qui s’intéressent au vivant retrace une histoire de la biologie qui débute à la Renaissance pour s’achever avec les travaux de biologie moléculaire moderne dont l’auteur est l’un des artisans. Jacob montre notamment que, jusqu’à la fin du xviiie siècle, le concept de reproduction n’est pas distinct de celui de génération. La « génération ne constitue que l’une des recettes utilisées quotidiennement par Dieu pour l’entretien d’un monde qu’il a formé. » Pourtant, cette distinction sera fondamentale pour la biologie puisque l’idée de reproduction s’accompagne de la « nécessité de dépasser la surface visible et de recourir à une organisation cachée ». Cette transformation dénote également le passage de « l’histoire naturelle » à la « biologie » à proprement parler, laquelle permettra d’accéder à partir du milieu du xxe siècle à « l’architecture cachée » du vivant, celle du gène puis de la molécule d’ADN.
Jacob ne se contente pas dans ce livre de dresser une archéologie du savoir concernant la notion d’hérédité, la notion centrale de l’essai. En s’appuyant sur les écrits et les auteurs de ces différentes époques et en les replaçant dans leur contexte, il définit surtout un certain nombre d’axes singuliers (par exemple la question de l’organisation ou la place du temps qui sont propres au vivant) qui font de la biologie une science particulière, une science dans la science avec ses caractéristiques propres et donc ses problèmes singuliers. Cette mise en contexte de l’histoire de la biologie se traduit en une véritable épistémologie du vivant, c’est-à-dire en une analyse des fondements philosophiques de la connaissance biologique. En cela, les premiers chapitres du livre témoignent d’une influence profonde sur le biologiste de l’œuvre de Michel Foucault, Les Mots et les Choses. On y retrouve l’idée selon laquelle les conditions d’un discours (scientifique ou autre) changent au cours du temps.
D’ailleurs, certaines métaphores que Jacob emploie dans cet ouvrage ont pour ainsi dire fait date dans l’histoire de la biologie puisqu’elles sont aujourd’hui devenues des expressions idiomatiques. C’est le cas par exemple de la métaphore du « programme génétique ». Alors que cette métaphore renvoie désormais volontiers à l’idée d’une « destinée » propre aux individus qui serait en quelque sorte « inscrite dans leurs gènes » – qu’il s’agisse d’ailleurs pour les utilisateurs de cette métaphore de cautionner cette idée ou de la rejeter –, la conception exposée par Jacob dans cet ouvrage apparaît bien plus subtile. Il distingue deux aspects, deux appréhensions possibles du programme – la mémoire et le projet – lesquelles se fondent l’une dans l’autre par l’usage même de la métaphore : « l’organisme devient ainsi la réalisation d’un programme prescrit par l’hérédité ». Jacob souligne alors que, en tant que mémoire, le programme renvoie à ce qui est conservé, par le biais d’un support physique (les chromosomes, puis l’ADN par la suite) ; en tant que projet, le programme renvoie au plan d’organisation permettant la formation de l’organisme. Si la métaphore permet de réconcilier ces deux aspects du vivant, il n’en reste pas moins que la leçon à retenir de Jacob est qu’il y a là deux manières différentes d’appréhender les problèmes de la biologie, lesquelles renvoient respectivement à l’analyse des causes prochaines – à travers l’étude des mécanismes physiologiques et du développement des organismes – et à celle des causes lointaines – à travers l’étude de la biologie de l’évolution[...]
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Écrit par
- Antonine NICOGLOU : maître de conférences, université de Tours
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