LA LOI DU MARCHÉ (S. Brizé)
Le paradoxe du comédien
La séquence où Thierry demande un prêt à sa banque, qui le lui refuse, témoigne de la riche complexité de sens que suscite ce dispositif. Dans son propre rôle, la jeune conseillère énumère d’abord maladroitement ses mauvaises raisons, avant de trouver le réflexe professionnel et les arguments qui l’amèneront à lui proposer de souscrire une assurance vie. Ce qu’un scénariste aurait difficilement imaginé, le face-à-face direct, en plan-séquence, entre une véritable employée de banque et un acteur chevronné, qui ne récite pas un texte mais explique avec ses mots ce que son personnage a à dire, confère à la fois la vérité de l’instant et la signification de ce qui se joue dans le propos général du film. Évidemment, dans cette nouvelle forme de « cinéma-vérité », la caissière qui récupère des bons d’achat ou le client qui a chapardé de quoi manger ne sont pas pris sur le fait par quelque caméra cachée. Mais la blessure et la mortification qu’ils expriment montrent que les gens filmés auraient pu agir de façon semblable dans ces circonstances. Cette gêne saisie au plus vif est pathétique parce que ressentie par l’interprète avant d’être transmise au spectateur.
La séquence où l’on voit Thierry suivre une formation aux entretiens d’embauche inverse d’ailleurs avec humour le principe. C’est alors aux stagiaires non professionnels de critiquer sa prestation (et celle du comédien, par la même occasion ?) sans se priver de le trouver mauvais ! Mais le scénario impose qu’il soit choisi. Échangeant donc son statut de chômeur avec celui de surveillant, Thierry devient, de chassé chasseur, de victime oppresseur. Puis il y aura suicide de l’employée renvoyée. Croisant un jour suivant le regard paniqué d’une autre caissière prise sur le fait, il ne se sentira plus alors capable de l’accabler et quittera son poste, claquant la porte en plein interrogatoire. Sans doute ce geste final de révolte ne change-t-il rien à la situation des salariés, puisqu’elle se traduit par une fuite et non par une action positive. Néanmoins, en décidant de perdre l’emploi qu’il avait eu tant de mal à obtenir, Thierry regagne sa dignité. Le film esquisse l’espoir d’un possible front du refus.
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Écrit par
- René PRÉDAL : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen
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