LA MODE EN 1830 (A.-J. Greimas)
La Mode en 1830 (P.U.F., Paris, 2000) rassemble, selon le vœu d'Algirdas-Julien Greimas (1917-1992), quatre textes précédant sa Sémantique structurale de 1966. Ce volume, préfacé par Michel Arrivé, réunit aux thèses que soutint le linguiste en 1948 sur la mode et la vie sociale en 1830 deux articles ultérieurs : « L'Actualité du saussurisme » (1956) et « Analyse du contenu. Comment définir les indéfinis ? » (1963). Il illustre le cheminement intellectuel de Greimas qui est passé de la lexicologie à la sémiotique, pour parvenir finalement à la sémantique.
« Au cours de notre travail, nous avons essayé de mettre en évidence les nouvelles conditions économiques et sociales qui régissent la société française pendant la Restauration [...]. Les faits de mode, et surtout les faits lexicologiques qui les traduisent se sont révélés des témoignages inattendus de la vie de la société tout entière. » La mode, « une esthétique appliquée à la toilette », manifeste le désir de plaire et de se « distinguer », aussi acquiert-elle une importance primordiale dans une société marquée par l'uniformisation complémentaire des mœurs et du costume. L'année 1830 marque l'essor du capitalisme caractérisé par le développement de l'industrie du commerce, et l'épanouissement d'une société bourgeoise. La disparition de castes naturelles au profit de classes encore mal définies, l'instauration d'une « démocratie des riches » (Balzac), et l'ébauche d'un cosmopolitisme européen conduisent à deux phénomènes conjoints : la création d'un costume européen, unité organique dont les changements continuels expriment le souci d'être comme il faut, etle privilège donné à l'apparence. La toilette, forme la plus superficielle de l'élégance, devient un révélateur moral et l'enjeu privilégié de la sémiotique sociale. Le romantisme et le dandysme, phénomènes de mode, avant toute exploitation artistique, répondent au besoin de « se donner un genre », de « faire classe » puisque la mise est la seule expression possible de la personnalité. La mode obéit à quatre paramètres exigés par l'inévitable dialectique de l'imitation et de la distinction : le port de nouveautés, le souci du modèle – Brummell, par exemple –, l'argent, et le goût éduqué par l'habitude et les journaux.
Greimas élit ainsi la mode, « phénomène de psychologie des masses », comme terrain de ses recherches lexicales et sociales en raison de son déploiement, illustré en 1830, par dix journaux spécialisés, sans compter les « réclames ». Avec une prise de conscience inédite de l'élégance, la toilette devint un lieu privilégié de constitution d'« intergroupes sociaux », ou d'acteurs qui, réunis par un intérêt commun, s'entendent sur un lexique : nous y trouvons des mots courants, des termes techniques (le binocle) et des néologismes, actifs ou passifs, d'emprunt (froufrou), de forme (juponner) ou de sens (manche-gigot) suscités par la rapidité des changements.
Selon un postulat synchronique assumé avant la connaissance de Saussure, Greimas dresse un corpus lexical en référence au contexte social, économique et politique pour constituer un document analytique apte à être comparé à des études similaires, effectuées sur d'autres sujets, à des périodes différentes. L'observation limitée dans le temps permet une exhaustivité de l'enquête lexicale, et donne à la terminologie présentée une portée exemplaire, la vouant à « servir de test au processus de cristallisation de tout autre vocabulaire ».
L'auteur peut alors étudier le référent socioculturel de la mode à partir des conclusions de l'étude lexicale. Il restitue le « climat », l'« atmosphère » de l'époque par la mise en relation de l'aspect matériel[...]
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Écrit par
- Brigitte MUNIER : docteur en sciences sociales, maître de conférences à l'École nationale supérieure des télécommunications
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