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LA MODIFICATION, Michel Butor Fiche de lecture

Michel Butor - crédits : Ulf Andersen/ Aurimages

Michel Butor

Troisième roman de Michel Butor, La Modification a obtenu le prix Théophraste Renaudot en 1957. Cette distinction faisait suite au prix Fénéon et au prix des critiques qui avaient été attribués à deux romans d'Alain Robbe-Grillet, respectivement Les Gommes en 1954 et Le Voyeur en 1955. Cette récompense, plus médiatique que les deux précédentes, popularisait une écriture qui s'affirmait en rupture avec le genre romanesque : la « nouvelle littérature » (Gaëtan Picon) qui allait prendre corps sous la dénomination de « nouveau roman ». Nathalie Sarraute venait alors de publier L'Ère du soupçon (1956) et Roland Barthes, Le Degré zéro de l'écriture (1953).

Nouvelle critique et nouveau roman vont dès lors mener une même bataille contre le classicisme. La première en contestant la critique traditionnelle, et en renouvelant l'approche du texte par la linguistique et les sciences humaines ; le second, dans la lignée de la critique valéryenne, en s'en prenant aux ressorts traditionnels du roman psychologique. Dans cette réception qui mêla débats d'idées et polémique, La Modification a joué le rôle d'une œuvre phare.

Le passager des frontières

Léon Delmont, directeur parisien de la firme italienne de machines à écrire Scabelli, prend le train pour Rome. Ce voyage, qu'il accomplit régulièrement pour des motifs professionnels, est ici officieux. Il part surprendre sa jeune maîtresse, Cécile Darcella. Il veut lui annoncer sa décision de se séparer définitivement de son épouse Henriette et de s'installer avec elle à Paris. À partir de cet argument, Michel Butor construit son roman sur une apparente unité de lieu et de temps. Si le livre se superpose au trajet Paris-Rome et peut se donner comme un huis clos, il va constamment être déconstruit par les états de conscience du protagoniste. Impatient de retrouver Cécile, Delmont fuit la durée de ce voyage pour se réfugier dans le souvenir de tous ceux qu'il a déjà faits et pour anticiper ses retrouvailles avec sa maîtresse. Après Passage de Milan (1954) et L'Emploi du temps (1956), ses deux premiers romans, Michel Butor articule dans La Modification les catégories du temps et de l'espace en une rigoureuse composition. Le roman obéit à une structure temporelle où l'emploi des temps détermine les séquences narratives : présent du voyage, séjours avec Cécile, quotidien avec Henriette. Ce subtil entrelacement produit des variations quasi musicales, proches de la fugue. Butor, qui publiera Le Génie du lieu l'année suivante, se livre également à de nombreuses évocations de Paris et de Rome, qui vont bientôt se superposer aux visages des deux femmes. Cette équation ville-femme conduit à une tension entre la Rome païenne (Cécile) et la Rome chrétienne (Henriette, figure de la loi), trouvant sa limite dans les représentations baroques du peintre G. P. Pannini, maître du trompe-l'œil, qui utilise dans ses œuvres le thème du tableau dans le tableau.

La particularité narrative la plus célèbre de La Modification reste l'emploi généralisé de la seconde personne du pluriel : « Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant. » Ce procédé stylistique est ici susceptible de plusieurs interprétations. La première serait la dissolution de la présence à soi de Delmont à la suite de la décision qu'il vient de prendre. En crise, il traverse une « frontière », rompt avec son passé. Ce « vous » est alors la distance critique traduisant une forme d'étrangeté à soi-même. Elle aboutit en tout cas à la négation du narrateur omniscient, centre de la psychologie traditionnelle, et s'avère prophétique par rapport à ce que deviendront les sujets, voire les voix narratives chez Beckett, Robbe-Grillet ou Claude Pinget. La seconde interprétation,[...]

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Michel Butor - crédits : Ulf Andersen/ Aurimages

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