LA MODIFICATION, Michel Butor Fiche de lecture
Un art de la description
On a volontiers parlé, à la suite de Butor, d'école du regard. De fait, La Modification est encore connue pour ses descriptions minimales, comme le tapis de fer chauffant qui revient à la manière d'un leitmotiv tout au long de la narration. Ces descriptions phénoménologiques, traduisant le chaos et l'errance des sensations, leur métamorphose continue, trouvent donc souvent leur forme dans une esthétique baroque. Trajets des gouttes d'eau sur les vitres, mises en abyme, représentations dédoublées traduisent l'instabilité et l'incertitude d'un monde décentré, à double foyer, comme le narrateur pris entre Paris et Rome. « Une des grandes vagues de l'histoire s'achève ainsi dans vos consciences, celle où le monde avait un centre, qui n'était pas seulement la terre au milieu des sphères de Ptolémée, mais Rome au centre de la terre, un centre qui s'est déplacé, qui a cherché à se fixer après l'écroulement de Rome à Byzance, puis beaucoup plus tard dans le Paris impérial, l'étoile noire des chemins de fer sur la France étant comme l'ombre de l'étoile des voies romaines. » Un monde qui se donne comme illusion en même temps qu'il laisse entrevoir la dissolution du sens. Reste à Léon Delmont à se livrer à une sémiologie qui va de l'enquête sur les voyageurs qui se succèdent dans le compartiment à l'analyse conjecturale des réactions et sentiments de Henriette et de Cécile.
Dans La Modification Michel Butor invente avec maestria une composition rythmique, qui conjugue l'histoire et l'Histoire, le réel le plus prosaïque et le « réalisme mythologique » pour reprendre l'expression de Michel Leiris. Ce roman illustre par anticipation l'expression de Jean Ricardou, qui voit dans le nouveau roman le passage de l'écriture d'une aventure à l'aventure de l'écriture. Car si au cours de ce voyage, le projet de Delmont s'est modifié, et s'il finit par renoncer à ramener Cécile à Paris, la seule rédemption que le protagoniste peut espérer réside dans l'écriture même du roman qu'il vient de construire, visant le « livre futur et nécessaire dont vous tenez la forme dans votre main ».
Dès les années 1960, Michel Butor allait abandonner le roman pour élaborer de nouveaux objets textuels dont on n'a pas encore apprécié suffisamment la nouveauté. Figure majeure de la constellation aux limites incertaines que fut le nouveau roman, il inaugure dès 1960 la série des Répertoires, rassemblant une œuvre critique dont l'impact sur l'approche de la littérature reste décisif.
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Écrit par
- Jean-Didier WAGNEUR
: critique littéraire à la
N.R.F. et àLibération
Classification
Média
Michel Butor
Ulf Andersen/ Aurimages
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