LA MORT DE LA NATURE (C. Merchant) Fiche de lecture
Carolyn Merchant (née en 1936) est professeure d’histoire environnementale, de philosophie et d’éthique à l’université de Californie à Berkeley. Écologiste, profondément marquée par la lecture de Silent Spring (1962) de Rachel Carson, elle dit s’être forgé un système de pensée au travers des luttes sociales, politiques et féministes qui agitèrent les États-Unis au cours des années 1970. La première édition de La Mort de la nature. Les femmes, l’écologie et la révolution scientifique (trad. M. Lauwers, Éditions Wild Project, 2021) a été rédigée dans ce contexte, en 1980. Selon l’auteure elle-même, « le livre a été considéré comme une déclaration avant-gardiste de la relation entre les femmes et la nature ». Ouvrage fondateur de l’écoféminisme, il marque surtout un renouvellement dans l’histoire des sciences, en aboutissant à la conclusion qu’un changement radical de perception de la nature – conduisant à sa réification – a été la condition de la révolution scientifique qui s’opéra entre 1500 et 1700.
En général, on présente l’histoire des sciences comme une suite d’acquisitions de connaissances et de moyens, qui s’organisent selon un vecteur tendant à la description de plus en plus fine de la nature. L’usage qu’on fait de cette dernière en constitue à la fois la conséquence et le moteur. Dans cette optique, le développement des sciences est essentiellement continu. Carolyn Merchant remet en cause cette représentation en posant que cette évolution est discontinue : l’émergence de la révolution scientifique est liée à un profond changement du regard que l’homme porte sur la nature, Celle-ci, auparavant d’essence féminine, est objectivée, devient neutre, comme si la nature perdait son sexe en quelque sorte, ce qui, selon l’hypothèse proposée par Carolyn Merchant entraîne un changement dans le statut des femmes.
« Mère Nature »
Dans un premier chapitre, « La nature comme femme », Carolyn Merchant s’appuie sur la pensée médiévale, jusque-là rarement considérée en histoire des sciences, pour montrer que jusque vers les années 1500, l’interaction homme-nature était omniprésente : la nature était un organisme et l’homme en faisait partie. Les représentations imaginaires étaient celles d’une « Terre mère nourricière », source et condition de vie, mais aussi mégère capable de toute sorte de violences : deux caractères antagonistes, cependant complémentaires dans l’identité imaginaire des femmes. Le couple nature-femme est la clé de lecture des sources utilisées dans l’ouvrage. Dans ce contexte, l’exploitation de la Terre – mines et métallurgie – était tenue pour une sorte de viol, au contraire de l’agriculture pour laquelle les métaphores sur la reproduction abondent.
Dans le chapitre suivant (« Ferme, fagne et forêt : l’écologie européenne en transition »), on voit s’atténuer la prégnance de ces images dès le début du xvie siècle sous la pression économique, le développement des besoins des villes, les résultats des explorations. La nature existe, mais elle est désormais requise pour le besoin de communautés humaines pensées comme des corps à part entière. On pourra bien encore décrire le monde comme un véritable être vivant, ce que fait le médecin et philosophe Paracelse (1493-1541), mais le temps organique de la nature dont tous les composants sont interdépendants tire à sa fin. L’ordre naturel ancien ainsi bouleversé va désormais caractériser le rapport à la société et dans la nature, la surexploitation des terres, des mines et des forêts. Ces convulsions écologiques et sociales sont celles de la Terre-femme montrant alors son visage de mégère : de soignante et nourricière, elle devient sorcière, une figure qui connaît alors sa grande époque.
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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Média