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LA MORT DE LA NATURE (C. Merchant) Fiche de lecture

« Maîtres et possesseurs de la nature »

La suite du livre décrit la sortie de ce désordre avec le passage assez brusque, au xviie siècle, à des temps où le mécanisme devient la métaphore du monde qui se régit, selon Descartes, par « figures et mouvements ». La nature étant privée d’élan vital positif, la femme glisse avec elle vers un statut d’infériorité. Les sorcières quittent les prétoires, les sages-femmes perdent leur position centrale tandis que les théories sur la reproduction confortent pour longtemps l’idée d’une infériorité féminine. Cette époque est un pivot dans la démonstration de Carolyn Merchant. À partir de là, on s’engage résolument dans une représentation de la nature devenue neutre, un objet en quelque sorte dont il s’agit de comprendre les mécanismes si on veut en user. La science expérimentale qui se développe au tournant du xviie siècle a un prix : pour expérimenter et établir les lois physiques qui régissent la nature, l’objet étudié doit être privé d’autonomie devant l’expérimentateur, réifié. Si les figures marquantes de ce bouleversement intellectuel – construction de l’ordre mécanique du monde, suivi de son usage comme pouvoir – sont bien connues, elles sont ici admirablement présentées dans leurs présupposés implicites et leurs ambiguïtés. La naissance et le triomphe de la révolution scientifique sont ainsi associés à un changement de représentation de la nature, ce qui va conditionner les mécanismes du monde socio-économique dans lequel nous vivons. La structuration des désordres écologiques est due à l’exercice d’un mécanicisme dans lequel s’enracine l’idée même de progrès.

Carolyn Merchant est convaincue que la place faite aux femmes dans le monde réel, tout comme dans l’imaginaire et la culture, est directement liée à nos représentations de la nature. La révolution scientifique ne pouvait, en la neutralisant, que minorer cette place. Le développement économique et la circulation de la monnaie, en avalisant l’idée de progrès, ne pouvaient qu’accentuer la dévalorisation de la nature et donc celle de la femme. La place des femmes ne sera pas améliorée ensuite par une science et une philosophie des Lumières qui s’écartent de plus en plus du vitalisme et théorisent un ordre de la nature régi par des lois physiques. Le chapitre consacré aux « femmes à propos de la nature » suggère cependant qu’elles sont longtemps restées associées de manière positive à la nature dans certains cercles et jusqu’à Leibniz. La conclusion d’un lien entre neutralité de la nature et infériorité féminine est fortement étayée, mais sans emporter totalement la conviction de l’historien.

On peut se demander ce qu’entraînerait un hypothétique retour vers un monde organique unifié où tout dépend de tout, jetant Newton « le cul par-dessus tête », pour s’opposer à un mécanicisme frappé de démesure. Cela se traduirait-il par un changement de la place de la femme telle qu’elle s’est construite depuis le début du xviie siècle ? Peut-être, mais on peut en douter. Ce monde organique qui a en fait refusé de disparaître, parait plutôt en expansion dans la société, le domaine politique, l’écologie, les pratiques du corps, etc. Le mouvement « Global Health » endossé par des institutions internationales explicite l’interdépendance des êtres et des choses. Ce retour assez puissant à une organicité du monde a très peu à faire d’une réflexion sur le genre métaphorique de la nature.

— Gabriel GACHELIN

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Écrit par

  • : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur

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Média

Allégorie de la Nature - crédits : Cameraphoto/ AKG-images

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