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LA MORT N'EN SAURA RIEN, RELIQUES D'EUROPE ET D'OCÉANIE (exposition)

« La mort n'en dira rien/Priez les dévots mornes/Nous dansons sur les tombes/La mort n'en saura rien. » Ce dernier vers, tiré de « Funérailles », un poème du recueil Le Guetteur mélancolique de Guillaume Apollinaire, sert de titre à l'une des expositions des plus singulières. Les expositions thématiques sont encore trop rares en France où l'on préfère revoir « Chardin » plutôt que se hasarder à lancer des sujets transversaux qui permettent de stimulantes confrontations. L'exposition organisée par Yves Le Fur au Musée national des arts d'Afrique et d'Océanie du 12 octobre 1999 au 24 janvier 2000 était d'autant plus audacieuse que, en exhibant des crânes et des reliques humaines, elle transgressait un tabou puissant : la confrontation d'objets provenant de cultures totalement étrangères l'une à l'autre, celle de l'Europe chrétienne d'une part, celles des sociétés primitives de l'Océanie et de l'Asie du Sud-Est d'autre part. L'accueil enthousiaste de la critique et du public a salué l'entreprise.

Dans le monde occidental, la mort est encadrée, stérilisée, escamotée au point d'apparaître tout au plus comme une réalité virtuelle ; l'intérêt provoqué par l'exposition est bien le signe qu'un tel projet, au-delà de l'émotion esthétique et de la satisfaction intellectuelle qu'il procure, répondait à une interrogation fondamentale que se pose notre époque : comment faisons-nous face à l'image de notre propre fin, comment apprivoisons-nous l'idée de la mort ? Comme le note Jean-Hubert Martin dans la préface du catalogue, « le sacré fait aujourd'hui un retour inattendu au musée », suscitant de nombreuses questions auxquelles les ethnologues ou les historiens de l'art sont loin d'avoir complètement répondu.

Dans une mise en scène à la fois forte et pudique de l'architecte Massimo Quendolo, soixante-seize objets, principalement des crânes, présentaient l'art d'accommoder les restes humains, de les doter d'une vie et d'une puissance nouvelles après leur déchéance finale. Cette fascinante danse macabre suscitait à la fois l'émerveillement et le recueillement, tant sont riches et variées les solutions plastiques retenues par les artistes et les artisans dans la mise en valeur de ces trophées. Sur les crânes peints de Papouasie-Nouvelle-Guinée alternent sobrement les bandes de couleurs, tandis que les crânes peints en Bavière et en Autriche sont ornés de couronnes de laurier ou de chêne pour les hommes, de couronnes fleuries de gentiane, d'œillet ou de rose pour les femmes. Plus inquiétants, les crânes surmodelés du Vanuatu, d'une grande intensité d'expression, sont garnis de leurs cheveux d'origine, enserrés dans un capuchon de toile d'araignée. Ces « visages-reliquaires » étaient mis en parallèle avec les « chefs-reliquaires » chrétiens en argent ou en cuivre doré.

Parfois, c'est le corps entier du défunt qui est recréé par la statuaire. Comme pour ce mannequin funéraire rambaramp provenant de l'île de Malakula (Mélanésie), réalisé dans une fougère arborescente, et qui contient la tête surmodelée du défunt ; ou pour la statue-reliquaire de saint Pancrace, réalisée en 1777 par un orfèvre d'Augsbourg : le squelette du saint est enchâssé et maintenu dans une position guerrière grâce à une spectaculaire armure d'argent partiellement dorée, digne des scènes de théâtre de l'Europe baroque.

Tous ces vestiges ont en commun, quels que soient leur provenance et leur agencement, l'extraordinaire intensité de leur présence. En Océanie comme en Asie du Sud-Est, les orbites incrustées de nacre, de coquillages, de graines colorées insérées dans de la résine ou de la moelle végétale recréent[...]

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