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LA MOUETTE (mise en scène T. Ostermeier)

Toute nouvelle mise en scène de Thomas Ostermeier constitue un événement. Son adaptation de La Mouette d’Anton Tchekhov à l’Odéon-Théâtre de l’Europe a suscité une attente d’autant plus grande qu’il s’agissait d’un spectacle, non pas venu en tournée depuis la Schaubühne berlinoise, mais créé en français, au Théâtre de Vidy à Lausanne, le 26 février 2016.

Tchekhov au présent

Thomas Ostermeier jouit d’une exceptionnelle reconnaissance internationale, parfois en décalage avec la réception, dans son propre pays, de son théâtre réaliste et politiquement engagé. En France, il est couvert d’honneurs et les propositions de travail sont constantes. Il a déjà créé, en 2013, Les Revenants d’Ibsen, dans une traduction d’Olivier Cadiot, avec Valérie Dréville, Jean-Pierre Gos, François Loriquet, Mélodie Richard, Matthieu Sampeur, rejoints, pour La Mouette, par Bénédicte Cerutti, Cédric Eeckhout et Sébastien Pouderoux, de la Comédie-Française. Ostermeier était donc familier de la distribution et de la pièce qu’il avait mise en scène en 2013, à Amsterdam. Il abordait alors pour la première fois un écrivain pour lequel il n’éprouve manifestement pas la même prédilection que pour Ibsen. Il s’étonne ainsi volontiers du contraste entre les engagements de Tchekhov et sa pièce « qui parle peu de questions sociales ou politiques […] décrit la bourgeoisie, les nantis de son époque, obsédés continuellement par leurs petits problèmes de carrière et de renommée ou leurs histoires d’amour malheureuses ».

« Quand tu as vu l’enfer, tu regardes la vie d’une autre façon. »  Cette phrase a été écrite par Tchekhov après sa visite du bagne de Sakhaline, dont il rend compte en 1894, avant la création de La Mouette, en 1896. À l’Odéon, en exergue au spectacle, la citation est associée à une immense photo en noir et blanc des prisonniers. Elle donne le ton de l’adaptation réalisée à partir de la traduction d’Olivier Cadiot, nourrie d’improvisations, augmentée d’inserts. Le plus frappant d’entre eux intervient dès le début de la représentation : il substitue à la comparaison de leur sort respectif entre Macha (Bénédicte Cerutti) et l’instituteur (Cédric Eeckhout) une adresse au public, proférée au micro, à propos des réfugiés syriens. L’actualisation du texte se poursuit avec la diatribe de Treplev (Matthieu Sampeur), jeune artiste incompris, manifestement inspirée par certaines tendances de la scène contemporaine et du théâtre postdramatique. Elle est soulignée par des airs de David Bowie et des Doors joués en direct à la guitare électrique par le médecin Dorn (Sébastien Pouderoux). Pareillement, le tabac est remplacé par le cannabis, tout comme la photo de la mouette tuée par Treplev est prise à l’aide d’un téléphone mobile.

À l’Odéon, la représentation durait deux heures et demie, sans entracte : les inserts se trouvaient compensés par des coupures. Surtout, trois personnages ont été supprimés : le serviteur Iakov, et les parents de Macha, le lieutenant à la retraite Chamraïev, intendant du domaine, et son épouse Paulina. Ce couple reste étranger à la littérature et au théâtre, représentés par le quatuor que forment Arkadina et Trigorine, l’actrice et l’écrivain célèbres, Macha, la jeune comédienne, et Treplev, le poète en devenir. En cela, il ne suscitait guère l’intérêt de Thomas Ostermeier principalement centré dans la pièce, comme il l’a expliqué, sur les enjeux du monde artistique. Pourtant, ce couple contribue à ces « tonnes d’amour » évoquées par Tchekhov à propos de la pièce, et au subtil équilibre d’une dramaturgie attentive à tous les personnages, qui accorde une scène magnifique à Paulina et au médecin Dorn. À la liaison sans avenir entre les vieux amants fait écho, à la génération suivante, la passion sans espoir de Macha pour Treplev, et son mariage de résignation avec l’instituteur.[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences honoraire à l'université de Poitiers, critique théâtrale de La Quinzaine littéraire et de En attendant Nadeau

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