LA MUSE PENSIVE. L'IMAGE DE L'INTELLECTUEL DANS L'ANTIQUITÉ (exposition)
Une galerie de l'amphithéâtre flavien a abrité, du 19 février au 20 août 2006, une cinquantaine d'œuvres romaines empruntées aux collections de la capitale – bustes, statues, sarcophages, reliefs, peintures, mosaïques et vases – représentant les Muses, en compagnie de poètes, philosophes et savants illustres de l'Antiquité classique : Homère, Hésiode, Pindare, Socrate et les grands poètes tragiques, qui invoquèrent les neuf sœurs, filles de Zeus et de Mnémosyne (la Mémoire), ainsi que philosophes, moralistes, orateurs et hommes politiques de la Grèce et de Rome.
Au-delà des exemples réunis en une mise en scène évocatrice par son dépouillement et ses jeux de lumière, l'enjeu de la recherche et de la synthèse collective dont témoigne l'ouvrage qui l'accompagnait – série d'essais sous la direction d'Angelo Bottini (Musa pensosa. L'immaginedell'intellettualenell'antichità, Electa, Milan, 2006) bien plus que catalogue – était audacieux. L'érudition la plus solide a été mise au service de la réflexion sur l'identité, les rôles sociaux et l'influence, l'image (cultivée par eux-mêmes), la perception collective et la représentation artistique des « intellectuels », de la Grèce archaïque à la fin du paganisme. La culture de l'oralité (aèdes, devins et hérauts), la diffusion de l'écrit avec la professionnalisation (et spécialisation des doctes rhéteurs, sophistes, mathématiciens), la constitution des vastes bibliothèques hellénistiques (naissance de la philologie et des encyclopédies, archives, index et classements), l'évolution des genres littéraires à mesure de la transformation des sociétés y sont analysées en relation avec la question de l'inspiration poétique, scientifique, prophétique ou philosophique, et celle de leur incarnation millénaire à travers les neuf Muses.
Selon l'Hymne à Zeus du stoïcien Cléanthe, les Muses ont été engendrées comme voix chorale pour louer la perfection du cosmos ordonné par Zeus, chanter la vie des dieux et les destins des hommes. Ainsi sont-elles omniscientes et véridiques, surveillant les humains grâce aux cigales, éternelles chanteuses qu'elles ont créées, et élisant les poètes auxquels elles remettent le rameau de laurier fleuri qui confère l'autorité à leurs chants. Les traditions étymologiques les ont distinguées par diverses qualités, en insistant sur leur sororité, métaphore de leur accord harmonieux. Et les poètes, suivis par les sculpteurs, les ont dotées d'attitudes et d'attributs correspondant à leurs compétences et patronages spécifiques. Cependant, l'indétermination et les variantes dans ces caractéristiques disent assez que les Muses étaient toujours perçues comme un groupe uni et interdépendant.
Calliope, la plus ancienne et vénérable aux yeux de Platon, est « la Muse à la belle voix », souvent associée à la poésie épique. Clio « la célébratrice » inspire aux historiens le récit des événements passés et la glorification des exploits héroïques. Euterpe « la délectable » joue de la double flûte et préside aux chants joyeux. Thalie « la festive » ou « la florissante » patronne les poètes comiques : munie d'un rouleau de parchemin et d'un masque de théâtre grotesque, elle incarne la frivolité populaire qui la fera souvent condamner. Melpomène « la chanteuse » est sa contrepartie tragique et noble et tient souvent un masque de tragédie ou une petite lyre. Terpsichore « la danseuse » est la Muse des chœurs et des rondes. Uranie « l'habitante du ciel » tient un globe et tourne le regard vers les étoiles. Enfin, Polymnie « la féconde en hymnes » s'enveloppe dans son manteau, frileuse et mélancolique, les yeux perdus dans le lointain, traduisant la pensée.[...]
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Écrit par
- Martine VASSELIN : ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, maître de conférences en histoire de l'art des Temps modernes à l'université de Provence
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