LA NATURE EXPOSÉE (E. De Luca) Fiche de lecture

Né à Naples en 1950 dans une famille de la moyenne bourgeoisie, Erri De Luca est écrivain, poète et traducteur. Son œuvre abondante s’inspire à la fois de son enfance napolitaine, de ses expériences de travailleur manuel (en Italie, en France et en Afrique), de ses combats politiques (dans le mouvement d’extrême gauche Lotta continua durant les années 1970, puis en 2015, lors de la construction de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin), et de ses engagements humanitaires (en Tanzanie, puis pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine). Sa pratique de l’alpinisme en solitaire, sa méditation quotidienne de la Bible ou encore sa connaissance du yiddish et de l’hébreu occupent une place centrale dans son œuvre. Traduit dans de nombreuses langues, collaborant sous la forme de billets d’opinion à divers journaux (La Repubblica, Avvenire, Il Manifesto…), il a publié des récits autobiographiques, des nouvelles, des romans ainsi que des essais.

Un conte moral

Pour La Nature exposée (trad. D. Valin,Gallimard,2016), Erri De Luca déclare, dans une brève préface, s’être inspiré d’un fait divers ainsi que du récit que lui rapporta un ami sculpteur sur bronze, Lois Anvidalfarei, dans sa ferme de haute montagne en Italie du Nord, durant les années 2010. Le titre du livre désigne la statue d’un Christ en croix qu’un artiste du début du xx^e siècle osa représenter entièrement nu, pour évoquer les jeunes corps détruits lors de la Première Guerre mondiale. L’Église demanda ensuite qu’on en recouvre la « nature », c’est-à-dire le sexe. Le sculpteur refusa, puis fut retrouvé mort dans la montagne. Un autre lui ajouta un drapé de marbre.

Dans ce roman, le narrateur, proche de la soixantaine, habite près d’une frontière, au pied des montagnes. Chercheur de minéraux, alpiniste, il vit modestement de la vente d’objets en pierre et en bois ainsi que de petits travaux de sculpteur. Avec deux amis, il a choisi de se faire, sans contrepartie financière, passeur de frontière pour des clandestins qui ont dû fuir leur pays. Or des dissensions avec ses amis le conduisent à quitter son village pour aller passer l’hiver dans une ville du bord de mer. En cherchant du travail, il rencontre un curé qui lui propose de restaurer la nudité d’un Christ en marbre.

À travers le monologue du narrateur, que rend parfaitement le style haché et proche de l’oral d’Erri De Luca, ce roman protéiforme tisse les fils de plusieurs intrigues qui procèdent de l’autofiction aussi bien que du roman d’amour, du roman policier, de la fable politique et du « récit théologique ».

Le personnage-narrateur, qui faillit revivre le destin de son prédécesseur mort en montagne, nourrit une intrigue amoureuse qui tourne le roman en conte moral et philosophique : son idéal artistique est tel qu’il rompt avec sa compagne de toujours, ambitieuse, convaincue de son génie et qui vit au village avec lui. Il refuse aussi les opportunités que lui offre la restauration de la nudité du Christ. En effet, le sculpteur conçoit et pratique son art hors de tout carriérisme, comme un corps-à-corps mimétique, quasi mystique et finalement extatique avec son objet.

Mais, lors de son séjour dans la ville du bord de mer, le narrateur fait la rencontre d’une autre femme qui se dit guide et journaliste. Celle qui se veut son amante se révèle être une sorte d’agent double dont les complicités pourraient permettre de faire assassiner le sculpteur-passeur. L’intrigue, presque policière, prend alors un relief politique, en posant indirectement la question de la liberté créatrice et celle de l’accueil de l’étranger.