LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, film de George A. Romero
Des zombies terriblement humains
Contrairement à certains films d'horreur des années 1980, le film de Romero ne fait jamais appel au second degré ni à la connivence, au clin d'œil. Le film se fait le reflet des peurs de son époque : la guerre froide bien sûr, mais aussi l'inquiétude de ce que l'homme va rapporter de son séjour sur la Lune, prévu en 1969 (n'y aurait-il pas dans l'espace des substances dangereuses ?).
Un drapeau américain planté à l'entrée de la petite bourgade rurale où débute l'histoire suffit cependant à suggérer que le film est une parabole, non du monde ou du rapport entre les nations, mais des États-Unis. Parabole politique et raciale notamment : le Noir serait le seul personnage masculin positif du film, et c'est lui qui est abattu, non par des morts-vivants mais par d'autres hommes. L'interprétation est toutefois à nuancer : dans la maison se trouve un autre personnage de bonne volonté, Tommy, qui est un Blanc, et ce n'est pas en tant que Noir que Ben est abattu à la fin, seulement comme une forme qu'on voit vaguement bouger à l'intérieur de la maison. D'ailleurs, aucun des autres personnages ne fait allusion à sa couleur de peau.
En revanche, ce que le film montre très bien, c'est la permanence d'une culture de la justice locale expéditive, à en juger par la joie de la milice du comté à effectuer son travail de « ratissage » et d'extermination des morts-vivants, comme à tirer de loin sur des formes humaines en mouvement. Le film s'achève d'ailleurs par un bûcher de cadavres qui éveille d'horribles associations.
Le film s'attache à un tout petit noyau de personnages, mais les informations à la radio, puis sur le petit écran, lorsqu'un téléviseur est trouvé dans la maison, élargissent le phénomène à l'ensemble du pays. Curieusement, et de manière symbolique, aucune information n'est donnée quand à l'effet des radiations dans d'autres pays. D'autre part, les personnages en scène, sauf le jeune couple qui parle d'amour, sont entièrement dans le concret et dans l'immédiat, ce qui confère à l'histoire un caractère d'urgence et de réalité, alors qu'il n'est plus temps de se poser des questions métaphysiques.
L'œuvre de Romero est un des premiers films à oser la « profanation » cinématographique de corps humains ordinaires, hagards, mal fagotés, corps que les personnages bons, à commencer par Ben, doivent considérer comme de la « viande morte ». L'acharnement muet des créatures est rendu paradoxalement plus effrayant par leur lenteur, leur maladresse et leur faible force physique, à la différence, par exemple, de la momie dans La Malédiction des pharaons (Terence Fisher, 1959), et la pitié qu'elles inspirent redouble l'horreur, puisqu'il est aussi terrible de les voir être tuées que de les voir tuer. Les morceaux de bravoure les plus répugnants – le repas des zombies, se nourrissant des entrailles et des membres d'un couple mort dans un camion – ont été bien sûr dépassés par de nombreux films ultérieurs, mais le film reste efficace : sa force tient notamment dans sa construction très ferme. Une première partie – presque la moitié du film – minimaliste, ne montrant qu'un Ben bavard et actif, et une Barbara catatonique et effondrée, qui ne dit presque rien ; puis une seconde partie mouvementée, où interviennent d'autres personnages réfugiés dans la cave de la maison.
Le style cinématographique du film est très étrange : au début, les partis pris esthétiques – noir et blanc dur avec des ombres portées très fortes, une profondeur de champ insistante, des cadrages penchés –, combinés à une musique instrumentale puissante, évoquent le cinéma fantastique des années 1940-1950, quand la suggestion[...]
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Écrit par
- Michel CHION : écrivain, compositeur, réalisateur, maître de conférences émérite à l'université de Paris-III
Classification
Médias
Autres références
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FANTASTIQUE
- Écrit par Roger CAILLOIS , Éric DUFOUR et Jean-Claude ROMER
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