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LA NUIT DES ROIS, William Shakespeare Fiche de lecture

Malvolio et le principe du carnaval

L'une des grandes réussites de la pièce tient dans l'entrelacs savant entre l'intrigue principale, centrée sur les amours contrariées des protagonistes, et une intrigue secondaire de pure comédie. Celle-ci concerne les aventures amoureuses parodiques de sir Toby Belch et de sa bande de bons vivants, qui vivent en parasites dans la maison de sa nièce, la belle Olivia, celle-là même qu'Orsino aime en vain. Il faut tout l'art de Shakespeare pour assurer l'unité structurelle et thématique de ces deux niveaux : certes, quelques personnages évoluent également dans les deux sphères, tels le page Viola-Cesario et le personnage mémorable du bouffon d'Olivia, Feste, qui par ses commentaires obliques éclaire l'action. Mais l'unité est surtout d'ordre thématique et symbolique : d'Orsino à Olivia en passant par sir Toby Belch, Malvolio et son acolyte et dupe sir Andrew Aguecheek, tous les personnages incarnent par leurs excès la nécessité de la mesure et du retour à l'ordre.

Nul n'incarne mieux ce dérèglement passionnel que sir Toby Belch, perpétuellement prêt à faire la fête, lorsqu'il s'oppose à son ennemi intime, l'intendant puritain Malvolio, en lui faisant croire à l'amour que lui porterait sa maîtresse Olivia. Leur affrontement n'est pas sans évoquer l'opposition entre carnaval et carême. C'est l'occasion d'une scène comique d'anthologie au cours de laquelle Malvolio est amené à se travestir et à employer un langage codé pour, croit-il, plaire à Olivia – qui conclut à un accès de folie. Mais cette intrigue se solde par un épisode semi-tragique lorsque Malvolio est enfermé et torturé moralement par Feste, déguisé en faux prêtre exorciste : la farce tourne à l'aigre.

Dans la très longue dernière scène, qui occupe tout l'acte V, toutes les complications de l'intrigue, après un moment de tension maximale, sont résolues de façon quasi rituelle : la comédie menace en effet de se changer en drame, lorsque Orsino, qui croit que Viola-Cesario a épousé secrètement Olivia (alors que c'est Sébastien qui a séduit la belle), menace de s'en prendre au page. L'entrée de Sébastien et la scène publique de retrouvailles entre les deux jumeaux coupe court à son désir de vengeance et, par le miracle optique de la duplication, permet à la belle Olivia de trouver enfin le véritable objet de son désir et au duc de réformer miraculeusement le sien : « Un visage, une voix, un habit et deux personnes !/ Comme dans une illusion optique où ce qui est n'est pas » (acte V, scène 1). Orsino épouse donc Viola, et Sébastien Olivia.

Cependant, Malvolio est exclu de la liesse finale. N'obtenant pas la justice qu'il exige, puisque les mauvais plaisants ne seront pas châtiés pour leur cruauté, il quitte la scène en jurant de se venger, introduisant une note discordante dans l'univers de la comédie. Shakespeare semble avoir voulu ici régler ses comptes avec les puritains, ennemis de la vie et de la fête, et il faut noter que l'une de leurs premières décisions, lorsqu'ils prendront le pouvoir en 1642, sera précisément de fermer les théâtres.

— Line COTTEGNIES

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Écrit par

  • : agrégée d'anglais, ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, maître de conférences à l'université de Paris-VIII-Saint-Denis

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Média

<em>La Nuit des rois</em> de W. Shakespeare, mise en scène d'A. Mnouchkine - crédits : Lesly Hamilton/ Gamma-Rapho/ Getty Images

La Nuit des rois de W. Shakespeare, mise en scène d'A. Mnouchkine

Autres références

  • SHAKESPEARE WILLIAM (1564-1616)

    • Écrit par
    • 8 303 mots
    • 5 médias
    Ce n'est pas que l'amour romanesque soit mis en accusation dans ces comédies de la belle période, de Peines d'amour perdues (Love’sLabour’sLost, 1594-1597) à La Nuit des rois(Twelfth Night, 1600), car l'ironie qui tempère ses extravagances n'est ni mordante ni sarcastique, elle...