LA NUIT DU CHASSEUR, film de Charles Laughton
Expressionnisme visuel
Pourtant très mal accueilli à sa sortie, le film étonne par sa singularité visuelle et son homogénéité de style. Il bénéficie d'un travail photo exemplaire du chef opérateur Stanley Cortez, déjà réputé pour ses collaborations passées avec Fritz Lang et Orson Welles. Cortez innovera en utilisant une nouvelle pellicule tri-X, très contrastée, lui permettant de reconstituer en studio l'atmosphère gothique et fantastique du film. Ignorant tout du travail de la réalisation, Charles Laughton s'en était entièrement remis à son équipe technique. Le film a été tourné dans un contexte d'indépendance réelle, loin des contraintes des studios, avec un important budget de 700 000 dollars. Il s'agissait de déployer une réelle inventivité pour jouer sur des espaces confinés. L'expressionnisme visuel côtoie un symbolisme parfois naïf jouant sur les effets d'ombres chinoises. Mais La Nuit du chasseur reste un film dérangeant ; mêlant le conte à l'horreur, il interroge le mythe d'une pureté de l'enfance. Robert Mitchum incarne ici le mal absolu : faux pasteur, séducteur, menteur et assassin, chasseur d'enfants. Ces derniers deviennent les justes, l'innocence persécutée, recueillis au final par une « mère rédemptrice » (Lillian Gish). Cependant, à la visualisation du film, les choses s'avèrent plus complexes. Astucieusement, Charles Laughton place la caméra à la hauteur du regard de l'enfant, ce qui confère aux images cauchemardesques un aspect plus effrayant encore et aux images de fuite sur le bord de la rivière un point de vue très poétique. En recourant aux conventions narratives du conte et en alternant rêves et cauchemars, Charles Laughton réussit à recréer l'univers de l'enfance. Toutefois, même si le film délivre un message rassurant sur leur capacité de sentir le mal là où des adultes ne voient rien, et à se défendre contre la cupidité et la folie, il ne s'agit pas d'un film pour enfants mais bien pour adultes.
Jouant sur les identifications père/enfant et les dédoublements de la figure paternelle, le film est devenu mythique, suscitant maintes interprétations. Fondé sur des conceptions rigides du bien et du mal, il pousse à leur paroxysme le puritanisme comme l'hystérie collective. Au-delà de son expressionnisme, ce film dans la tradition de Murnau se fait plus référentiel. L'opposition des personnages homme/femme redonne une fonction nouvelle aux paraboles bibliques où la morale finit par être sauve devant le châtiment suprême.
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Écrit par
- Kristian FEIGELSON : maître de conférences, sociologue à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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