LA PARABOLE OU L'ENFANCE DU THÉÂTRE (J.-P. Sarrazac)
La Parabole, ou l'Enfance du théâtre (éd. Circé, Belval, 2002) convie le lecteur à une réflexion ambitieuse sur le théâtre du xxe siècle, et en particulier sur l'œuvre de ces grands parabolistes que sont Claudel et Brecht, mais aussi Kafka, dont Jean-Pierre Sarrazac analyse le théâtre « inédit » et inachevé. À travers cette réflexion, l'auteur nous propose de redécouvrir une enfance du théâtre, de renouer avec un point de vue naïf à même de réenchanter la scène, mais aussi le monde. La parabole, comme le suggère son étymologie grecque – para-ballein, c'est comparer, mais aussi se porter ou se jeter de côté –, est étroitement liée à la distanciation brechtienne, qui invite le spectateur à s'éloigner de la réalité, à la considérer d'un point de vue étranger pour mieux la reconnaître. Surtout, l'esprit d'enfance qui préside à la parabole enchante : en cela, La Parabole, ou l'Enfance du théâtre semble tracer un parcours inverse de celui que désignait le titre du précédent essai de Jean-Pierre Sarrazac, Critique du théâtre : de l'utopie au désenchantement (2000).
Le trajet que construit La Parabole, ou l'Enfance du théâtre s'ouvre comme une invitation à penser le théâtre, ou, plutôt, à le repenser à partir de ses origines. L'auteur oppose en effet à la Poétique d'Aristote, dont les principes ont dominé l'histoire du théâtre occidental, une autre généalogie, paradoxale parce que platonicienne. À « mi-pente » entre le théâtre de la mimèsis, exclu de la République parce qu'il n'offre qu'une représentation dégradée du monde des idées, et le « théâtre de vérité » auquel aspire Platon, la parabole fait entendre une voix philosophique au cœur même de la représentation théâtrale. C'est dire qu'elle est susceptible de multiples variations, qui conduisent Jean-Pierre Sarrazac des pièces-paraboles de Brecht à leur mise en procès par Heiner Müller, des paraboles métaphysiques de Claudel à l'art de la parabole tel que l'ont pratiqué Edward Bond ou Bernard-Marie Koltès.
La parabole n'est pas allégorie, précisait Jean-Pierre Sarrazac dès L'Avenir du drame (1999). Certes, elle évoque sous la forme d'un récit accessible et imagé une question difficile et abstraite, d'ordre politique, philosophique ou religieux. Mais le récit mis en œuvre par la parabole, loin de tendre à la transparence, s'appuie sur une comparaison ou une métaphore qui conservent une certaine épaisseur, une part d'opacité. Comme le montre La Parabole, ou l'Enfance du théâtre, de telles images ne provoquent la surprise, le saisissement du spectateur que parce qu'elles sont empruntées à la sphère du familier, celle qui provient de l'oralité ou de l'enfance. La Résistible Ascension d'Arturo Ui nous renvoie ainsi à l'univers du film de gangsters américain : la pièce-parabole de Brecht prend appui sur une mythologie populaire pour évoquer l'accession au pouvoir de Hitler à travers la conquête, par Arturo Ui, d'une position dominante dans le gang du chou-fleur. Sur un mode comparable, les Pièces de guerre d'Edward Bond puisent dans l'imaginaire de la science-fiction pour donner à voir les menaces pesant sur notre monde à travers une anticipation pessimiste, celle d'une catastrophe nucléaire qui aurait anéanti la planète.
Aux analogies explicites à l'œuvre chez Brecht comme dans Le Soulier de satin, où Claudel met en scène Rodrigue et Prouhèze comme deux étoiles amoureuses, à la fois réunies et infiniment distantes, s'oppose un autre art de la parabole, fondé, lui, sur l'implicite. Une pièce comme Roberto Zucco tend vers la parabole sans que jamais Bernard-Marie Koltès, précise Jean-Pierre Sarrazac, n'explicite l'analogie entre la[...]
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Écrit par
- Hélène KUNTZ : maître de conférences en études théâtrales à l'université de Paris-III
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