LA PEINTURE ET SON PUBLIC À PARIS AU XVIIIe SIÈCLE (T. Crow) Fiche de lecture
Painters and Public Life in Eighteenth-Century Paris (publié aux éditions Macula, en 2001, sous le titre La Peinture et son public à Paris au XVIIIe siècle) avait fait quelque bruit dans le milieu de l'histoire de l'art lors de sa parution en 1985 aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Les thèses de Thomas Crow suscitèrent alors bien des discussions, et s'il fut loin de recueillir une approbation unanime, l'importance de son ouvrage apparut au fur et à mesure que d'autres historiens s'engageaient dans la voie qu'il avait ouverte. Il faut déplorer que l'ouvrage n'ait pas été immédiatement traduit en français (le premier livre de Thomas Crow disponible en français, L'Atelier de David, qui lui fait suite chronologiquement et thématiquement, étant paru chez Gallimard en 1997, peu après sa publication en 1995 sous le titre Emulation. Making Artists for Revolutionary France). Il faut néanmoins féliciter l'éditeur pour les risques qu'il a pris et le remercier de cette traduction, qui n'est malheureusement actualisée que par l'ajout d'une bibliographie complémentaire, couvrant la période postérieure à 1985, et par une très brève postface. On aurait aimé en effet que Thomas Crow répondît de manière plus argumentée à ses détracteurs et entretînt le débat en reprenant et en commentant les étapes majeures de l'historiographie depuis 1985. Mais le recul permet de mieux percevoir et de comprendre ce qui fait l'originalité du projet intellectuel de l'auteur.
Thomas Crow, d'emblée, fait l'impasse sur une question centrale en histoire de l'art, la définition des corpus et les problèmes d'attribution. Ce qui compte pour lui, c'est moins le peintre devant son tableau que le peintre et son tableau dans leur contexte, contexte social, contexte économique et contexte politique. Il se refuse à parler d'une histoire sociale de l'art, puisque pour lui toute histoire est forcément sociale : « On ne peut faire aucune distinction pertinente, écrit-il, entre l'enquête socio-historique et les connaissances précieuses (fussent-elles circonscrites) auxquelles l'histoire de l'art est traditionnellement associée. Ceux qui tentent d'établir pareille distinction cherchent invariablement des excuses à leur paresse et à leur manque de curiosité. » Mais Thomas Crow se défie dans le même temps de tout systématisme, puisque l'« histoire sociale de l'art est une discipline essentiellement ouverte, dont les structures analytiques ne sont que le moyen heuristique de parvenir à une connaissance plus profonde et plus fine. Les tâches traditionnellement dévolues à l'historien d'art n'ont rien perdu de leur pertinence mais il va de soi qu'elles peuvent être mieux accomplies grâce à une interprétation historique réfléchie ». Il vaudrait donc mieux parler de complémentarité ou d'élargissement que d'exclusion ou de rupture. On notera d'ailleurs que dans son deuxième ouvrage, L'Atelier de David, Thomas Crow aborde beaucoup plus précisément les questions d'attribution et de main que dans La Peinture et son public, puisque l'un des postulats de base y est la collaboration des élèves de David à des parties achevées de certaines de ses œuvres les plus célèbres, comme le Brutus, et non plus seulement à la simple préparation de ces tableaux.
La Peinture et son public s'articule sur quelques grands problèmes : les rapports entre le peintre et ses commanditaires, privés et publics, la question, centrale, des institutions autour desquelles s'organise la vie artistique (en particulier le rôle de l'Académie royale de peinture et de sculpture), et celle, essentielle, de la naissance d'un public, devenant petit à petit un acteur autonome, notamment lors de l'exposition[...]
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Écrit par
- Barthélémy JOBERT : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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