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LA PERSÉCUTION ET L'ASSASSINAT DE JEAN-PAUL MARAT, Peter Weiss Fiche de lecture

La Persécution et l'assassinat de Jean-Paul Marat représentés par le groupe théâtral de l'hospice de Charenton sous la direction de Monsieur de Sade, pièce en deux actes et trente-trois tableaux du dramaturge allemand Peter Weiss (1916-1982), fut rédigée en 1963 et remaniée l'année suivante. La première représentation eut lieu en avril 1964 au Schiller-Theater de Berlin, dans une mise en scène de Konrad Swinarski.

La rencontre de l'histoire et de la littérature

L'action se déroule en juillet 1808, dans la salle des bains de l'hospice de Charenton, où le marquis de Sade met en scène avec des fous ou des détenus politiques l'assassinat de Marat en 1793. Un annonceur présente les différents protagonistes : Marat est joué par un paranoïaque, Charlotte Corday souffre de léthargie chronique et de dépression, Duperret est un girondin dépravé, érotomane, Jacques Roux, le prêtre défroqué, un extrémiste socialiste auquel on a passé la camisole de force. Les autres malades tiennent rôle de figuration ou de chœur. Quant au marquis de Sade, l'auteur du texte, il est un représentant de l'Ancien Régime qui a sympathisé un temps avec la Révolution : « Considérons enfin ce monsieur assez gras/ qui réside en ces lieux depuis cinq ans déjà/ Auréolé d'une gloire infamante/ objet de mille épreuves et de persécutions/ voici Monsieur de Sade ci-devant marquis. » Quatre chanteurs de foire et des musiciens accompagnent l'action.

Jacques Roux et les chanteurs font l'éloge de la Révolution, ce qui provoque aussitôt de l'agitation parmi les malades. Coulmier, le directeur de l'hospice, doit intervenir avec les religieuses et les infirmiers. Il semble que la pièce puisse alors commencer (Charlotte Corday rend une première visite à Marat, couché dans sa baignoire). Mais l'action annoncée dans le titre n'est que prétexte à une succession de tableaux, parmi lesquels les discussions entre Marat et Sade sont prépondérantes. Sade ne croit pas aux efforts des hommes pour modifier positivement le cours de l'histoire. Il s'est détourné de la Révolution, persuadé que « dans la nature le faible est à la merci du plus fort », et il donne corps à son aspiration à la liberté dans la réalisation de ses fantasmes. Marat veut pousser plus avant une Révolution qui n'a servi jusqu'ici que « les boutiquiers et les commerçants » ; il entend abolir la société de classes et, par la guillotine, supprimer ceux qui font obstacle aux valeurs qu'il donne à l'histoire. Ce qui rapproche les deux hommes est que, pour l'un comme pour l'autre, « il n'y a pas de limites extrêmes ». Leurs arguments ne sont pas présentés comme deux thèses dont il faudrait juger des mérites respectifs : distanciés par les conditions de la représentation à l'hospice de Charenton, leurs discours se perdent dans un foisonnement de thèmes et d'actions, parfois présentés sous forme de chansons, de clowneries ou de pantomimes grotesques et macabres (ainsi les exécutions par la guillotine jouées par des fous). Parfois, aussi, le fil est interrompu par des interventions de Coulmier, outré des excès du spectacle, par des crises de démence des malades, ou simplement parce que les « acteurs » ont oublié leur texte. Des personnages annexes présentent des alternatives aux propos de Marat et de Sade : Jacques Roux, plus radical que Marat, veut gagner le peuple aux idées d'une révolution mondiale anarchiste ; Duperret ne pense qu'à caresser Charlotte, la petite provinciale qui se persuade peu à peu du bien-fondé de sa mission historique. Lavoisier, Voltaire, un instituteur, un prêtre viennent évoquer le passé de Marat, mettant en doute sa ferveur révolutionnaire.

Au deuxième acte, Marat harangue le peuple dans un discours virulent qui donne pourtant l'impression[...]

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Écrit par

  • : professeur au département des arts du spectacle à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-la Défense, traducteur, dramaturge

Classification

Autres références

  • WEISS PETER (1916-1982)

    • Écrit par
    • 1 886 mots

    Né en 1916 près de Berlin, Peter Weiss fuit le nazisme avec ses parents et, après un périple de plusieurs années, s'installe en Suède en 1939. Il y demeurera jusqu'à sa mort, mais en se considérant toujours comme une sorte d'apatride involontaire, voué à l'émigration dans un monde inhabitable, dans un...