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LA PETITE BIJOU (P. Modiano) Fiche de lecture

La Petite Bijou (Gallimard, Paris, 2001) commence par une rencontre. Un soir de décembre, à Paris, à la station de métro Châtelet, une jeune fille de dix-neuf ans, Thérèse, part sur les traces de son passé : elle vient de croiser dans la foule une femme vêtue d'un manteau jaune qui lui évoque sa mère, présumée morte au Maroc. Elle la suit jusqu'à l'immeuble qu'elle habite à Vincennes, une de ces banlieues « de la vie [qui] n'offre[nt] généralement pas à [leurs] habitants ce confort auquel sont habitués ceux qui demeurent au centre des grandes villes », comme l'explique Sur les confins de la vie, le livre que lui a prêté son ami Moreau-Badmaev. Le confort est d'ailleurs un mot dont Thérèse ignore le sens et la pratique. C'est la pharmacienne brune au regard doux qui le lui fait remarquer.

Moreau-Badmaev, la pharmacienne... deux silhouettes de hasard, deux personnages également attentifs à la jeune fille dont ils pressentent le besoin d'écoute mais aussi l'errance obsessionnelle qui est son lot, dans l'espace tout autant que dans le temps. Dans sa chambre, Moreau-Badmaev – lointaine réminiscence d'Armand Robin – passe sans cesse d'une langue à l'autre, du « persan des prairies » au finlandais, d'une station de radio à l'autre. Il gagne sa vie en traduisant des émissions des quatre coins du monde, et il partage l'aspiration de Thérèse : « il faut trouver un point fixe pour que la vie cesse d'être ce flottement perpétuel ». La pharmacienne, elle, agit, met en œuvre, prescrit, sauve la vie de Thérèse « de justesse ». Elle l'aidera à tromper la mort, à échapper définitivement à la période où, enfant, elle jouait dans un film sous le nom de « La Petite Bijou », au « mauvais sort et aux mauvais souvenirs » qui se résument pour elle à un seul visage, « celui de [sa] mère » surnommée, elle, la Boche ou Trompe-la-Mort. Thérèse suit la silhouette au manteau jaune. Elle va jusqu'à payer ses dettes, mais jamais elle ne l'aborde ni ne lui parle.

Ce roman instaure, avec une netteté inconnue jusqu'ici dans les livres de Modiano, la lutte entre deux mondes : la réalité présente – celle où se déroule la vie, où les êtres ne sont pas des fantômes, où le soleil n'éblouit plus et accompagne gaiement de belles promenades dans des lieux clairement identifiés – et « le passage d'une surface à une autre, d'un lieu à un autre, d'un sens à l'autre » caractéristique du flou, « lieu et temps du mélange, de l'indistinction, de l'hésitation » (selon l'essai très personnel et littéraire de Colette Corneille sur Le Flou, éd. Le Bruit des autres, 2000). Le flou est cet état dans lequel Modiano se voit plongé lorsqu'il raconte dans une courte nouvelle, Éphéméride (Gallimard-Le Monde, samedi 30 juin 2001), une de ses promenades dans les rues de Paris : il se trouve sans cesse reporté à un autre temps dans ces mêmes lieux, dans une zone incertaine où le souvenir du père se mêle à l'évocation de figures littéraires, où Raymond Queneau retrouve Boris Vian entre le quai de la Gare et la voie ferrée d'Austerlitz. Confronté « à des photos, des documents, des pièces à conviction » concernant son passé, l'auteur finit par affirmer : « ce n'était pas cela, ma vie ». Il se retrouve face au vide, comme Thérèse devant la boîte à biscuits Lefèvre-Utile où elle a enfermé des objets qui ont appartenu à sa mère : un agenda, un carnet d'adresses, des photos. Et lorsque Moreau-Badmaev la pousse à composer le numéro de son appartement d'enfance, PASSY 13 89, personne ne répond : « Le numéro n'est plus attribué, explique Moreau-Badmaev. Alors, les gens s'en servent pour faire connaissance et prendre rendez-vous. Ça s'appelle le Réseau. » Aujourd'hui,[...]

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