LA PEUR. HISTOIRE D'UNE IDÉE POLITIQUE (C. Robin) Fiche de lecture
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Traduit de l'anglais par Christophe Jaquet et préfacé par Philippe Braud, l'ouvrage La Peur : Histoire d'une idée politique (2006) questionne les fondements de l'ordre politique libéral en vigueur aux États-Unis. Son auteur, Corey Robin, professeur de science politique à New York, procède à la fois à l'histoire intellectuelle de l'idée majeure qui, selon lui, fonde la peur et analyse certains aspects de la société américaine dans lesquels cette dernière ne cesse de s'immiscer.
Suivant une méthode qui rappelle celle de Michel Foucault, Robin relit les auteurs classiques en montrant comment la peur est d'abord une construction mise en œuvre par le pouvoir en vue de justifier sa propre légitimité. De cette généalogie émerge un camaïeu de la peur à caractère politique, atteignant son degré extrême avec la terreur totale attachée aux expériences tragiques ayant marqué le xxe siècle – nazisme, stalinisme –, analysées par la philosophe Hannah Arendt.
Si Robin livre un portrait assez classique du Léviathan(1651) de Hobbes, cette figure biblique qui symbolise l'État dans sa capacité à assurer la conservation des hommes pourvu que ces derniers lui cèdent une grande partie de leurs droits, il met en relief le fait que l'appareil étatique sait recourir aux institutions civiles (l'Église, l'Université) pour diffuser une peur artificielle sur laquelle repose l'ordre social.
Dans De l'Esprit des lois(1748)de Montesquieu, la terreur est dépourvue de toute rationalité et constitue une réponse involontaire à une violence anarchique exercée par un despote cruel à la psyché monstrueuse. Aussi, l'autorité de la loi, la limitation réciproque des pouvoirs, une culture politique favorable à la liberté individuelle et au pluralisme constituent selon lui les plus sûrs moyens de se prémunir du despotisme.
Avec Tocqueville, la peur n'a plus sa source dans l'éventuelle répression par les puissants, mais dans le peuple. La masse est en proie à une inquiétude diffuse, liée à l'égalisation des conditions et au renversement de l'autorité politique traditionnelle. À la tyrannie de la majorité doivent faire contrepoids les mécanismes politiques des libéraux tels que la division des pouvoirs et le fédéralisme.
Les Origines du totalitarisme (1951) d'Hannah Arendt radicalise l'inquiétude tocquevillienne en montrant une masse anomique, plongée dans la désolation, et qui s'en remet aux idéologies totalisantes. Pour elle, la peur est le résultat d'un processus justiciable d'une analyse politique consacrée par l'essai d' Arendt, Eichmann à Jérusalem (1963), où l'idéologie est appréhendée non plus comme un mythe, mais comme un discours politique destiné à faire agir les individus contre leur gré ; la masse n'est plus informe, mais constituée de classes sociales et d'organisations civiles sur lesquelles peut s'appuyer le pouvoir.
Dans le chapitre intitulé « Les vestiges du jour », clôturant cette première partie, Corey Robin raille ce qu'il nomme le « libéralisme de l'inquiétude » dont il reproche aux tenants (Michael Walzer) les tendances « quiétistes » (par exemple, l'éloge des associations non politiques, le rejet du conflit, le goût de l'intégration). Ce libéralisme tiède cherche moins à combattre l'injustice qu'à renforcer la société au nom de la vulnérabilité des individus.
Il critique également le « libéralisme de la terreur » qui émanerait de l'œuvre de la philosophe Judith Shklar. Au regard des génocides du xxe siècle (Bosnie, Rwanda), celle-ci considère que le libéralisme n'est pas motivé par la recherche d'un Bien supérieur, mais la volonté d'éviter un souverain Mal. Pourtant, comme le note justement Philippe Braud, cet idéal politique[...]
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Écrit par
- Stéphanie WOJCIK : docteure en science politique
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