LA PITIÉ DANGEREUSE, Stefan Zweig Fiche de lecture
Commencé en 1936, terminé en 1938, publié en 1939 aux éditions Bermann-Fischer exilées à Stockholm et bientôt traduit en anglais, La Pitié dangereuse de Stefan Zweig (1881-1942) connut immédiatement un grand succès en Angleterre et aux États-Unis. Ce récit psychologique a la forme d'une confession : l'intendant Hofmiller, le héros-narrateur, qui raconte son aventure à un confident, s'impose un pénible effort de lucidité pour se délivrer du poids des souvenirs qui l'accablent.
« Cette volupté subtile de la pitié »
Lieutenant de l'armée habsbourgeoise, Hofmiller fait songer aux personnages de Schnitzler (comme le sous-lieutenant Gustel). Fier de son uniforme, prisonnier du code de l'honneur militaire, il se révèle un faible qui cède à la jouissance du sentiment de « pitié » que lui inspire une jeune fille infirme, et un lâche qui renie les engagements qu'il a contractés, causant le suicide de la malheureuse qu'il a fuie après s'être fiancé à elle. Le récit est précisément daté : nous sommes en novembre 1913, dans une petite ville de garnison sur la frontière hongroise. La dérobade honteuse du narrateur à la fin du roman ne reste impunie que parce que la monarchie habsbourgeoise vient de sombrer dans la Première Guerre mondiale.
Entre les lignes de ce récit à la première personne, Stefan Zweig a su faire deviner l'ambiguïté d'une sollicitude en apparence pleine de noblesse morale, mais qui cache en réalité une passion perverse. Le fait est que le pouvoir affectif qu'Hofmiller a conquis sur la jeune fille paralytique devenue éperdument amoureuse lui procure une jouissance sadique, et qu'il éprouve une fascination fétichiste pour ce buste et ces mains de jeune femme dont les jambes évoquent Olympia, l'automate du Marchand de sable d'E. T. A. Hoffmann, ou encore les poupées érotiques aux membres disloqués de Hans Bellmer.
Le mot qui revient compulsivement dans cette confession est « pitié ». Mais il n'est là que pour dissimuler des désirs inavouables. C'est le narrateur, en réalité, qui a peur d'être pris en pitié par ses camarades de régiment, lui dont les assiduités auprès d'une infirme n'excitent que les sarcasmes. Un autre personnage du roman, le docteur Condor, qui s'efforce en vain de guérir la paralytique, montre ce qu'est la vraie compassion : il a sacrifié sa carrière pour ne pas briser la vie de l'aveugle qui est devenue sa femme.
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Écrit par
- Jacques LE RIDER : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
Classification
Média