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LA PITIÉ DANGEREUSE, Stefan Zweig Fiche de lecture

De la confession à l'auto-analyse

Le procédé de Zweig va consister à faire tomber les masques et à dévoiler les misères pathétiques que les personnages de son récit cherchent à cacher ou à ensevelir dans l'oubli. Car chacun a son « secret » compromettant. La belle Édith Kekesfalva cache son infirmité, qui l'empêche de se déplacer autrement qu'avec des béquilles. Quant à son père, le châtelain Kekesfalva, que toute la ville de garnison prend pour un noble fortuné d'origine hongroise, il est en fait un juif de modeste extraction. C'est le docteur Condor qui évente ce « secret de famille » : « Le mieux est que nous débutions par le commencement et que pour le moment nous laissions de côté l'aristocratique M. Lajos von Kekesfalva. Car à cette époque il n'existait pas encore. Il n'y avait pas de propriétaire foncier en redingote noire et lunettes d'or, pas de gentilhomme ou de magnat qui portât ce nom. Il y avait seulement, dans une misérable petite bourgade à la frontière hungaro-slovaque, un petit juif à la poitrine étroite et aux yeux vifs du nom de Léopold Kanitz et que tout le monde appelait, je crois, Lämmel Kanitz. »

Le parallèle établi par le romancier entre l'infirmité d'Édith et la judéité honteuse de son père en dit long sur les blessures infligées à Stefan Zweig par l'antisémitisme. Depuis le début des années 1930, l'écrivain affichait son incapacité à comprendre la raison des persécutions raciales. Il ne voulait pas admettre que son origine juive pût faire de lui une victime désignée. Mais, dans le Juif autrichien assimilé Stefan Zweig, sommeillait la peur que l'on pût « mettre à nu » un pauvre juif de l'Est.

Représentation en miniature du monde habsbourgeois et de son écroulement au moment de la Grande Guerre, analyse psychologique de l'inextricable mélange des sentiments idéalisés et des perversions du désir, mais aussi auto-analyse d'un auteur profondément perturbé par l'exil et les persécutions antisémites, La Pitié dangereuse est le seul roman – et désigné comme tel, en sous-titre – de longue haleine publié par Stefan Zweig, et l'un de ses textes les plus poignants.

— Jacques LE RIDER

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Stefan Zweig - crédits : AKG-images

Stefan Zweig