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LA PLACE ROYALE, Pierre Corneille Fiche de lecture

Naissance du héros cornélien

Sur cette trame piquante, Corneille déploie une écriture variée, où grandes tirades et monologues – certains en forme de stances – font ressortir aussi bien l’amour passionné d’Angélique que la légèreté joyeuse de Philys et les raisonnements fantasques d’Alidor. La pièce se plie aux unités de temps et de lieu qui commençaient à s’imposer. Le décor à compartiments multiples, en usage à l’époque, permet toutefois à Corneille de situer quelques scènes à l’intérieur de l’appartement d’Angélique, quand l’essentiel de l’action se déroule à l’extérieur, sur la place. De plus, l’acte IV bénéficie d’une ambiance nocturne, un éclairage réduit plongeant la scène dans un clair-obscur propice aux méprises.

Dans ses comédies, Corneille revendique de faire primer le divertissement sur l’effet moral. Mais La Place Royale va plus loin : elle est délicieusement immorale, par la légèreté de Phylis et par l’« étrange humeur d’amant » du héros. Il est significatif qu’elle ne se dénoue pas par le mariage des deux personnages principaux, fait exceptionnel dans une comédie du xviie siècle. L’extravagance d’Alidor est-elle un pur artifice visant à motiver sa conduite paradoxale ? Jusqu’à quel point fait-elle de lui un personnage ridicule ? Peut-être Corneille a-t-il caricaturé avec quelque sympathie les raisonnements des « esprits forts » de son temps, et les idées répandues dans certaines œuvres d’inspiration « libertine » comme l’Histoire comique de Francionde Charles Sorel (1623). Dans une épître tenant lieu de préface, tout en se défendant d’entreprendre la justification d’Alidor, le dramaturge souscrit lui-même à l’idée que « l’amour d’un honnête homme doit être toujours volontaire », et « qu’on ne doit jamais aimer en un point qu’on ne puisse n’aimer pas »…

À en croire Corneille, la pièce a eu du succès à sa création ; sa publication en 1637 passe pourtant inaperçue, éclipsée par les polémiques autour du Cid. La Place Royale n’en est pas moins une œuvre importante. Alidor annonce en effet, sur le mode comique, les grands héros cornéliens maîtres d’eux-mêmes et sacrifiant tout à un idéal sublime – ainsi Rodrigue et l’Infante dans Le Cid (1637) ou Horace et Polyeucte dans les tragédies éponymes (1640, 1641). Et, même si la psychologie de ce personnage extravagant reste superficielle, elle préfigure aussi celle des « imaginaires » de Molière, ces caractères ridicules travaillés par une lubie. Molière, de toute évidence, appréciait La Place Royale: on en discerne des échos dans certaines de ses grandes comédies, notamment Don Juan ou le Festin de Pierre (1665), où le thème de l’inconstance tient une place essentielle, et Le Misanthrope (1666), où Alceste, l’« atrabilaire amoureux », est un autre extravagant qui ruine son amour pour satisfaire à un idéal chimérique.

— Boris DONNÉ

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Écrit par

  • : maître de conférences en littérature française à l'université d'Avignon

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