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LA PLAISANTERIE, Milan Kundera Fiche de lecture

L'Homme broyé par l'Histoire

Articulé autour de sept chapitres dont chacun a pour titre le prénom du narrateur, le roman est raconté tour à tour par quatre personnages : Ludvík, Helena, Jaroslav, un vieil ami de Ludvík, et Kostka, un étrange médecin. Le dernier chapitre s'élabore autour de trois voix (Ludvík, Helena et Jaroslav), selon une structure polyphonique que nous retrouverons dans les autres romans de Kundera. Les récits des quatre narrateurs sont de longueur inégale : les trois monologues de Ludvík occupent deux tiers du livre, ceux des autres personnages en occupent un tiers : Jaroslav un sixième, Kostka un neuvième, Helena un dix-huitième. Cette organisation détermine ce que Kundera appelle « l'éclairage des personnages ». Dans L'Art du roman, essai publié en 1986, il s'explique sur ce procédé : « Chaque personnage est éclairé par une autre intensité de lumière et d'une façon différente. [...] Lucie, un des personnages les plus importants, n'a pas son monologue et est éclairé seulement de l'extérieur par les monologues de Ludvík et de Kostka. L'absence d'éclairage intérieur lui donne un caractère mystérieux et insaisissable. Elle se trouve, pour ainsi dire, de l'autre côté de la vitre, on ne peut pas la toucher. »

Plusieurs thèmes et motifs déterminent la structure et la sémantique du roman. Certains apparaissent de façon tout à fait claire, à la surface du texte, les autres ne se révèlent qu'au fur et à mesure qu'on progresse dans le récit.

Le motif le plus évident est celui de la plaisanterie qui a donné son titre au roman : Ludvík écrit sur le mode de la plaisanterie une carte postale à son amie. Celle-ci ne l'a pas comprise et transmet la carte au comité du parti ce qui a pour conséquence l'exclusion de Ludvík de l'université et sa relégation dans un bataillon disciplinaire, suivie d'une « carrière » de mineur de fond.

Un autre motif étroitement lié au précédent est celui de la vengeance : Ludvík simule l'amour envers Helena pour mieux se venger de son mari qui, autrefois, avait manigancé son procès. Le motif de l'oubli et des non-reconnaissances d'un être proche apparaît également dans le roman de Kundera. Ludvík rencontre par hasard Lucie, son unique amour, mais il ne la reconnaît pas sous les traits d'une coiffeuse : « Curieusement insatisfait, je sortis du salon ; tout ce que je savais, c'est que je ne savais rien et que c'était une énorme grossièreté que d'hésiter sur l'identité d'un visage autrefois tant aimé. »

Un autre thème qui nourrit la structure du roman est celui de la crise du langage : la raison de l'échec de Ludvík Jahn est un texte incompris par le destinataire, celui de la carte postale qu'il envoie à son amie d'alors. Celle-ci ayant préféré un stage de formation politique aux vacances qu'ils avaient projeté de passer ensemble, elle envoie à Ludvík une carte où elle écrit qu'« il règne au stage l'esprit sain de l'optimisme révolutionnaire » (ce qui sous-entend qu'elle peut se passer de Ludvík). Par dépit amoureux et sans réfléchir aux conséquences, ce dernier répond aussitôt par une carte qui porte les mots suivants : « L'optimisme est l'opium du peuple ! L'esprit sain pue la connerie. Vive Trotski ! Ludvík. » Ce texte innocent, qui proteste contre la tiédeur sentimentale de l'amie de Ludvík, sera lu hors de son contexte par des fonctionnaires, et devient la pièce maîtresse justifiant l'exclusion de Ludvík.

Le thème majeur de La Plaisanterie reste toutefois le conflit de l'Homme et de l'Histoire. Le protagoniste du roman fait partie de la génération qui aspirait, sincèrement, à étendre le pouvoir de la raison à l'histoire de l'humanité tout entière ; cette intention,[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences de tchèque à l'université de Bordeaux-III-Michel-de-Montaigne, chargé de cours de littérature tchèque à l'Institut national des langues et civilisations orientales, Paris

Classification

Média

Milan Kundera - crédits : Louis Monnier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Milan Kundera