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LA PLUS SECRÈTE MÉMOIRE DES HOMMES (M. Mbougar Sarr) Fiche de lecture

Œuvre polyphonique, dont l’intrigue se déploie entre plusieurs époques et divers continents, La Plus Secrète Mémoire des hommes (Philippe Rey-Jimsaan, 2021) est le quatrième roman de Mohamed Mbougar Sarr et le premier livre d’un écrivain d’Afrique subsaharienne à être couronné par le prix Goncourt. Après avoir, dans ses livres précédents, abordé successivement les thèmes du djihadisme, de la migration et de l’homosexualité en Afrique, le romancier sénégalais, né le 20 juin 1990, propose une méditation sur la littérature et la condition de l’écrivain contemporain, singulièrement l’auteur africain francophone.

Une enquête sur la littérature

« Un grand livre n’a pas de sujet et ne parle de rien, il cherche seulement à dire ou découvrir quelque chose, mais ce seulement est déjà̀ tout, et ce quelque chose aussi est déjà̀ tout. » La plus secrète Mémoire des hommes contient beaucoup de ces considérations paradoxales sur le caractère ineffable de la littérature et les mirages de l’écriture. Mais rien n’empêche le lecteur d’aller au-delà de cette idéalisation, qui n’est peut-être que l’expression de la naïveté d’un protagoniste rêvant d’écrire le livre définitif.

Le livre relate l’enquête de Diégane Latyr Faye, un jeune écrivain sénégalais qui part à la recherche de T. C. Elimane, un auteur africain qui, en 1938, a publié un roman éblouissant, Le Labyrinthe de l’inhumain. Il a d’abord été célébré par le Tout-Paris littéraire qui en a fait le « Rimbaud nègre » avant de susciter le scandale lorsque deux professeurs du Collège de France l’accusent d’être en réalité un vulgaire plagiaire. Il disparaît alors complètement. Aidé par l’écrivaine haute en couleur Marème Siga D., qui lui a permis de lire l’œuvre légendaire qu’est devenuLe Labyrinthe de l’inhumain, Faye se lance sur les traces de ce personnage doté, semble-t-il, d’un singulier pouvoir de séduction et d’un don de voyance. Son enquête, partant de Paris, le mènera à Amsterdam, Buenos Aires et Dakar.

Le roman trouve son point de départ dans l’histoire vraie de l’écrivain malien Yambo Ouologuem, à qui le livre est dédié. En 1968, son roman Le Devoir de violence fut couronné par le prix Renaudot. D’abord fêté comme un grand écrivain ouvrant une nouvelle voie aux lettres africaines, il fut rapidement accusé de plagiat. L’auteur ne se remit jamais du scandale suscité.

Mais l’enquête de Faye porte bien plus sur la littérature que sur le destin d’un personnage, si fascinant soit-il. Elle obéit à une chronologie complexe, avec de multiples sauts d’une époque à une autre qui risquent d’égarer le lecteur – après tout, il est question de labyrinthe dans l’œuvre d’Elimane. Le roman emprunte des formes variées – récit, journal, roman épistolaire, extraits de critique littéraire – qui toutes nous suggèrent que, en fin de compte, T. C. Elimane importe bien moins que le constat des pouvoirs et des impasses d’une vie consacrée à l’écriture. On voit ainsi passer beaucoup de romanciers dans le récit, notamment Ernesto Sábato et Witold Gombrowicz. À la manière d’un Roberto Bolaño, à qui le roman emprunte son titre et qui est cité en ouverture, Mbougar Sarr donne un récit où se mêlent politique (de la France des années 1930 aux révoltes contemporaines à Dakar), satire de différents milieux sociaux et réflexion sur la littérature.

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Écrit par

  • : professeur de littératures francophones et de littérature comparée, université Paris-Nanterre, membre de l'Institut universitaire de France

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