LA POUDRE ET LE FARD. UNE HISTOIRE DES COSMÉTIQUES, DE LA RENAISSANCE AUX LUMIÈRES (C. Lanoë)
Si le corps est devenu depuis la fin du siècle dernier un objet d'étude, il manquait à celle des techniques, visant à le modifier et à l'embellir, une analyse précise des produits et des modes de composition, de production et de consommation des cosmétiques. Dans une langue dynamique, fluide et rigoureuse, La Poudre et le fard. Une histoire des cosmétiques, de la Renaissance aux Lumières (Champ Vallon, Seyssel, 2008) vient combler cette lacune.
L'étude de l'apparence a longtemps souffert de ne pouvoir être repérée que par le biais d'un corpus éparpillé et répétitif. De plus, la description des visages cosmétiqués est souvent minée par la fable, la satire, la critique, l'hyperbole et les fantaisies littéraires. On y trouve aussi des inductions fausses qui ont tendance à exalter une mode qui n'est souvent qu'une pratique individuelle.
Rompant avec cette tradition, Catherine Lanoë a choisi de travailler sur un corpus extrêmement riche et diversifié – des inventaires après décès des gantiers parfumeurs aux arrêtés des Académies de sciences et de médecine, en passant par les manuels de cosmétiques et les ouvrages sociologiques ou littéraires... – pour dépasser l'anecdote et montrer la naissance d'un marché de la beauté, qui va de pair avec l'industrialisation des produits et le développement des comportements de masse.
Du xvie au xviiie siècle, l'examen des pratiques met en évidence une double constante : le blanchiment de la peau et l'utilisation du fard rouge. L'analyse de l'auteur se déploie quant à elle dans une double direction : une analyse lexicale des termes liés à ces deux opérations et une analyse symbolique.
Le lecteur découvre la diversité technique des cosmétiques, produits végétaux ou minéraux, pommades et poudres parfumées pour les cheveux et les perruques. Une rupture s'instaure dans les années 1760-1770, comme en témoignent les archives de la Société royale de médecine qui se livre au contrôle des « remèdes secrets ». En même temps que s'opère une diversification des produits dans le conditionnement et la gamme chromatique des poudres et des rouges, la consommation s'élargit. De nouveaux enjeux se font jour, qui témoignent de changements de production et de consommation qui accompagnent l'ascension de la bourgeoisie. On remarque aussi l'utilisation accrue de substances végétales et de l'eau dans la composition des cosmétiques, ainsi que l'abandon progressif des minéraux nocifs, qui ne vont pas sans une valorisation de la nature. L'époque recherche des produits plus doux, moins astringents, et instaure un nouveau rapport à la peau. L'enquête sur l'innocuité du rouge végétal, qui mobilise l'Académie des sciences pendant quelques années, marquera la naissance d'un contrôle médical des fards. On assiste alors, vers la fin du xviiie siècle, au passage progressif des modèles de visages figés par l'âge classique à une pratique plus individualisée.
Cette évolution va de pair avec le passage d'une fabrication privée à une fabrication artisanale, puis industrielle. Héritage de la médecine d'Hippocrate, de Galien et de l'école de Salerne, la préparation des cosmétiques, à la Renaissance, emprunte à l'alchimie, à la cuisine par contiguïté, similarité ou contrariété, jusqu'à ce qu'en 1778, le roi instaure la Société royale de médecine dont les expertises vont légitimer désormais la commercialisation des cosmétiques fabriqués par les gantiers parfumeurs. Catherine Lanoë nous guide au cœur des laboratoires naissants, de la recherche des matières premières jusqu'à la commercialisation, en passant par l'inventaire des outils et des recettes.
En même temps que l'intensification des échanges commerciaux et techniques facilite leur consommation,[...]
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Écrit par
- Dominique PAQUET : docteur en philosophie, écrivain
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