LA PRINCESSE D'ÉLIDE, Molière Fiche de lecture
Le 5 mai 1664, la cour de France se rend à Versailles pour assister aux Plaisirs de l’île enchantée, la première des grandes fêtes du règne de Louis XIV. Pendant près de dix jours, démonstrations équestres, festins, feux d’artifice et représentations théâtrales se succèdent autour d’un thème emprunté au poème chevaleresque Roland furieux (1532) de l’Arioste, l’une des œuvres en vers les plus célèbres de la Renaissance. Organisé officiellement pour divertir « les reines » – la reine mère et la reine Marie-Thérèse –, le festival est placé sous le signe de la galanterie, une politique culturelle valorisant le brio, l’amour et les plaisirs, promue par le jeune Louis XIV pour susciter l’adhésion à son règne.
Sur l’invitation du duc de Saint-Aignan, grand ordonnateur des divertissements, la troupe de Molière reprend LesFâcheux (1661), LeMariage forcé (1664) et crée LeTartuffe. La représentation phare est cependant celle de LaPrincesse d’Élide, une comédie galante en cinq actes, en vers et en prose, écrite spécifiquement pour la fête et donnée le deuxième soir, lorsque les célébrations battent leur plein.
Un spectacle total
L’intrigue est toute galante : la princesse d’Élide, qui n’aime « que la chasse et les forêts », dédaigne les prétendants que son père a réunis. Seul Euryale, prince d’Ithaque, trouve le chemin de son cœur. La comédie s’organise autour de leurs résistances réciproques à avouer leurs sentiments et de leurs jeux de séduction, au risque de se perdre l’un et l’autre. Au premier acte, c’est Euryle qui dévoile ses sentiments à Moron, son confident, dont le rôle est interprété par Molière. L’acte II se concentre sur les tourments amoureux de la princesse, renforcés encore à l’acte III par la bravoure qu’affiche le prince. À l’acte IV, elle espère susciter l’aveu d’Euryle en prétendant aimer un autre prince, mais le stratagème se retourne contre elle. C’est finalement le roi, son père, qui intervient pour permettre aux deux amants de s’unir. Le chœur du sixième et dernier intermède répète ainsi :
« Quelque fort qu’on s’en défende, / Il y faut venir un jour : / Il n’est rien qui ne se rende / Aux doux charmes de l’Amour. »
Le sujet de la pièce ne constitue toutefois qu’une partie de la représentation : dans ce spectacle total, chaque acte est ponctué d’intermèdes chantés et dansés, chœurs de chasseurs ou pantomimes de bergers. Ces éléments sont au moins aussi importants que l’action principale.
Avec les chorégraphies de Pierre Beauchamps et la musique de Lully, La Princesse d’Élide correspond au genre de la comédie-ballet qu’avait inauguré Les Fâcheux. Molière transpose cette formule galante mêlant théâtre parlé et théâtre dansé dans le cadre pastoral et chevaleresque des Plaisirs de l’île enchantée. En effet, si l’intrigue et les vers de La Princesse d’Élide sont largement inspirés de la comédie El desdén con el desdén (1654, « Dédain pour dédain ») d’Agustín Moreto, et si le nom d’Élide provient d’un épisode de Clélie (1654-1660), grand roman galant de Madeleine de Scudéry, la pièce est avant tout une pastorale. Après LesCharmes de Félicie (1654) et les Amours de Diane et d’Endymion (1657), La Princesse d’Élide consacre le renouveau d’un genre qui s’accorde parfaitement à l’esthétique galante : le cadre champêtre et cynégétique va de pair avec l’expression des sentiments tendres et la bravoure généreuse des princes.
Molière ne manque pas d’enrichir la formule pastorale des jeux de scène et des chorégraphies qui font le succès de son théâtre. La pantomime comique du deuxième intermède est un bon exemple : la rencontre avec un ours « le surprit si fort par cette vue peu attendue, qu’il [Molière dans le rôle de Moron] donna des sensibles marques de sa peur », d’après le livret[...]
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Écrit par
- Christophe SCHUWEY : maître de conférences, université Bretagne sud, Lorient
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