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LA PRINCESSE DE CLÈVES (Madame de La Fayette) Fiche de lecture

Classicisme et modernité

Mme de La Fayette, de naissance Marie-Madeleine Pioche de La Vergne, connaît bien Paris, ses salons, sa conversation, et ses grands auteurs. Installée depuis 1661 dans la capitale, elle fréquente les milieux galants, les anciens frondeurs, les théoriciens de la langue et du texte. Proche d'écrivains et d'érudits tels que Huet, Segrais et La Rochefoucauld, mais aussi de Mlle de Scudéry ou de Ménage, elle a appris à parler des méandres du cœur, à guetter les dangers de l'amour-propre, et à discourir en une langue moderne et exigeante. Mariée, comme c'est la norme en ce temps, à un homme qu'elle voit peu, puis qu'elle ignore, ou qu'elle combat en justice, elle connaît bien les détours du système matrimonial. Elle écrit des nouvelles historiques, comme La Princesse de Montpensier (1662). Cependant, parce qu'elle est aristocrate, Mme de La Fayette, ne peut s'abaisser à signer ses œuvres de fiction moderne, ou même d'histoire. Il aurait fallu écrire des mémoires ou tenir une correspondance, comme Mme de Sévigné qu'elle rencontre souvent, ou en rester au roman pastoral, ou au grand roman précieux de Mlle de Scudéry.

Pour toutes ces raisons, La Princesse de Clèves fut publiée de manière anonyme, et pour d'autres raisons, la critique, fort longtemps, ne put supporter qu'une femme écrivît un chef-d'œuvre. Comme on apprit très vite que Mme de La Fayette était l'auteur de cet ouvrage, on soupçonna tout aussi vite une supercherie ou une façade pour dissimuler les noms de Huet, Segrais, La Rochefoucauld ou Ménage. On ignora qu'en ce temps les textes étaient lus, discutés ou réécrits à plusieurs, pour enfin se voir publiés sous le nom d'un seul, ou de personne. Le récit de Mme de La Fayette appartient donc à son temps, même s'il marque une rupture dans l'esthétique du roman.

Roman sur le mariage, La Princesse de Clèves est aussi un ouvrage sur l'horreur de la passion qui entraîne nécessairement à la faute, ruinant les corps et les cœurs. La volonté de la princesse, pourtant inflexible, ne l'empêche ni de souffrir ni de faire souffrir. Les cadets, devenus maris passionnés faute d'avoir été guidés, y sont tragiques, et non ridicules. Les jeunes femmes innocentes et dociles mettent en danger le monde et leur propre salut lorsque la passion les saisit. Les jeunes gens conquérants, durant le temps de leur passion, souffrent le martyre, puis se marient ailleurs, lorsque ce sentiment s'estompe : ce sera le cas de Nemours. Reste la retraite, seul moyen de fuir l'amour-propre et la passion, seul espoir d'accéder à la vertu. Roman classique tout entier consacré à l'étude des passions dans une langue retenue, cette presque-nouvelle ouvre, par les voies de la tragédie en prose, le chemin du roman moderne.

— Christian BIET

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Média

Madame de La Fayette - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Madame de La Fayette