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LA PROMESSE (J.-P. et L. Dardenne)

La Promesse est arrivée sur les écrans comme surgie de nulle part. Ses auteurs, Jean-Pierre et Luc Dardenne semblaient ne se référer à aucune école particulière, ne se réclamer d'aucun maître et atteindre du premier coup une totale maîtrise de leurs moyens et de leur propos. Venue de nulle part ? En réalité, La Promesse vient de Belgique, un pays qui a donné des cinéastes importants (Henri Stork, Paul Meyer, André Delvaux, Chantal Akerman, Boris Lehman, Robbe de Hert...), mais où le cinéma se développe de plus en plus difficilement. Aucune école ? Si, celle du film documentaire engagé. Respectivement nés en 1951 et 1954, Jean-Pierre et Luc Dardenne ont commencé en 1974 à filmer en vidéo des reportages d'intervention sociale, avant de réaliser et de produire des films sur la résistance antinazie en Wallonie, la grève générale de 1960, l'histoire de l'émigration polonaise... Deux fictions ont été présentées à Cannes, Falsch (1986) et Je pense à vous (1992). Ni Dieu ni maître ? Un « père » au moins est revendiqué, l'homme de théâtre et cinéaste Armand Gatti, que Jean-Pierre rencontra à Bruxelles, où il tentait une carrière de comédien et où le rejoignit son frère. Gatti leur parla de politique et des camps de concentration, auxquels il a consacré son premier film, L'Enclos, en 1960. En 1982, les deux frères seront les producteurs et les assistants de son troisième long-métrage, Nous étions tous des noms d'arbre.

Au vu de ce parcours, La Promesse aurait pu se réduire à un film militant, constat objectif ou pamphlet contre les négriers modernes. Ce qu'il est dans un premier temps. On découvre Igor (Jérémie Régnier), jeune garçon blond d'une dizaine d'années, apprenti mécanicien dans un garage, et son père Roger (Olivier Gourmet), qui vit du trafic de clandestins de diverses origines, surtout africaine. On suit le trajet de l'argent, des passeports, des certificats de logement. On découvre la région de Liège – où les frères Dardenne ont passé leur jeunesse –, et plus précisément, à quelques kilomètres de là, Seraing, autrefois haut lieu de la sidérurgie et de la lutte politique et syndicale, aujourd'hui zone sinistrée. Igor aide surtout son père, servant d'interprète improvisé, l'aidant à récolter des loyers prohibitifs dans un taudis malodorant, à rassembler les passeports et à remplir la paperasserie... La vision de ce monde est hallucinante, montrée du point de vue des exploiteurs, que les frères Dardenne suivent caméra à l'épaule dans leurs multiples déplacements. L'horreur est quotidienne, sans états d'âme, presque sans conflits. Roger déploie une énergie sans pareille, quasi sportive, toujours en train de surveiller le moindre bénéfice qui pourrait lui échapper. Il en est d'autant plus fascinant qu'aucun scrupule ne semble l'effleurer. On le devine blindé affectivement : il n'y aura aucune allusion à la mère d'Igor absente. Pour peu, on lui donnerait raison : les exploités n'acceptent-ils pas leur sort, protestant peu, d'autant que Roger sait parfois céder juste ce qu'il faut, non sans méfiance, et qu'il exerce ces activités pour son fils unique afin de payer un appartement dont Igor profitera plus que lui ?

Dans ce monde de débrouille et d'arnaque, de plus en plus dénué de repères moraux et qui se développe dans les marges sans cesse élargies des pays occidentalisés, Igor a grandi sans se poser de questions, suivant, moins par lâcheté naturelle que par manque de maturité, les ordres paternels. Lui-même n'hésite pas, dès la première scène, à délester de son porte-monnaie une cliente du garage tout en déplorant froidement la prolifération des voleurs. Et quand Roger le lui demande, il livre à la police quelques clandestins pour la calmer. Tout juste tente-t-il d'arrondir les angles,[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

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