LA PROMESSE DE L'AUBE, Romain Gary Fiche de lecture
« C'est fini […] J'ai vécu »…
Si La Promesse de l'aube présente la plupart des caractéristiques d'un récit autobiographique traditionnel – usage de la première personne, identité auteur-narrateur-personnage, relation supposée authentique de la vie de l'auteur… –, il était prévisible que Romain Gary, qui aura toute sa vie pratiqué l'illusionnisme (jusqu'à la « fabrication » de l’écrivain Émile Ajar), se joue librement des codes du genre, à commencer par la fidélité à la réalité factuelle, à laquelle il multiplie les entorses avérées.
Le livre est divisé en trois parties : l'enfance, l'adolescence, les années de guerre. Mais les constants allers-retours entre passé, présent et futur, surtout dans la première partie, tendent à brouiller les repères temporels que ne contribue pas vraiment à restaurer la succession des chapitres. On est face à une juxtaposition de scènes relativement autonomes nées des associations de souvenirs du narrateur, dans un récit qui passe sous silence des pans entiers de sa vie et de celle de sa mère.
Cette relative confusion et ce caractère à la fois lacunaire et fragmentaire, justifiés par la nature même du processus de la mémoire, n'excluent cependant pas la présence d'un fil conducteur : il s'agit naturellement de la relation mère-fils. Véritablement au cœur du récit dans les première et deuxième parties, puisque Romain et Nina y forment un couple inséparable et quasi autarcique, elle reste omniprésente dans la troisième partie, malgré la séparation, à la fois parce que la mère continue d'accompagner son fils à travers ses lettres et parce que Romain est constamment animé par la volonté de réaliser ses rêves de gloire et de réussite. Il y aurait beaucoup à dire sur la nature profondément ambivalente de cet amour, exclusif et indépassable – aucune femme n'aimera Romain comme sa mère –, mais placé, dès la scène des adieux devant les soldats goguenards, sous le signe de la honte et de la culpabilité. Il s’avère aussi démesurément possessif et fondamentalement castrateur. L'autre fil rouge, qui demeure étroitement lié au précédent, est celui d'un roman de formation, mais paradoxal, puisqu'il s'agit moins ici pour le narrateur-auteur-personnage de chercher et de trouver sa voie que de devenir ce que sa mère a rêvé-voulu qu'il soit : un héros, un écrivain, un diplomate. D'une certaine manière, cette « prédestination » tend à disqualifier en partie la réussite, et Gary, il est vrai, s'y emploie avec une certaine ferveur masochiste, insistant sur ses échecs tant littéraires que sentimentaux ou militaires, et passant sous silence ou minimisant le courage physique (une forme d'inconscience), la séduction (plutôt des fiascos), et la vocation même d'écrivain, puisqu'après tout n'est-ce pas sa mère qui en a décidé à sa place ?
Tout le livre est ainsi marqué par une distance à l’égard de son propos qui s'exerce aussi ici aux dépens même du narrateur. Une autodérision qui ajoute, malgré l'humour omniprésent, à la tonalité désenchantée du livre – qui s'ouvre sur « c'est fini » et se clôt sur « j'ai vécu » ! Ce que confirme d'ailleurs l'une des interprétations possibles du titre, donnée par l'auteur en personne : « Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais. »
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
Classification
Autres références
-
GARY ROMAIN (1914-1980)
- Écrit par Nicolas GELAS
- 1 585 mots
- 1 média
En 1956, l’écrivain reçoit le prix Goncourt pour Les Racines du ciel, puis publie en 1960 La Promesse de l'aube, récit autobiographique dans lequel il évoque avec truculence et nostalgie l'extravagance de sa mère.