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LA PUISSANCE DE LA PENSÉE (G. Agamben)

Réunis en trois sections (« Langage », « Histoire », « Puissance ») de sept essais et conférences chacune, écrits entre 1975 et 2004, les essais qui composent La Puissance de la pensée (trad. J. Gayraud et M. Rueff et publiés dans la Bibliothèque Rivages) offrent une excellente introduction à l'œuvre du philosophe italien Giorgio Agamben.

« Puissance de la pensée » – ce syntagme, qui donne son titre à une conférence tenue à Lisbonne en 1987, rend bien compte de la remarquable continuité d'une recherche qui s'étend sur plus de trois décennies. Recherche d'un objet absent, d'une puissance productrice d'effets qui ne saurait être saisie en propre ni se réduire totalement à ses productions. « Comme toute quête authentique, la quête critique consiste, non point à retrouver son objet, mais à assurer les conditions de son inaccessibilité » – avertissait l'Avant-propos de Stanze (1977). Comment, en effet, parler de la parole alors que l'on est parlant, délivrer la tradition alors que l'on est inscrit dans une histoire ? Comment, enfin, avoir prise sur cela même qui nous permet d'avoir prise ? Ce sont ces limites, internes aux champs qu'elles balisent, que l'auteur ne cesse de questionner avec toutes les ressources de ses propres pouvoirs de penser, de son érudition mais aussi de ses interrogations inquiètes quant aux temps présents et à venir.

La notion de puissance est méditée par Agamben à partir d'Aristote : « Si une puissance de ne pas être appartient originellement à toute puissance, ne sera vraiment puissant que celui qui, au moment du passage à l'acte, n'annulera pas simplement sa propre puissance de ne pas, ni ne la laissera en suspens par rapport à l'acte, mais la fera passer intégralement en lui comme telle et pourra donc ne pas ne pas passer à l'acte. » Les conséquences d'une telle analyse paradoxale concernent à la fois l'art et la politique (deux des domaines privilégiés par l'auteur). Les rapports entre acte créateur et œuvre, et ceux entre « pouvoir constituant » et « pouvoir constitué » sont ainsi à penser à nouveaux frais. C'est l'interrogation sur la nature de ces rapports qui fait la cohérence des textes ici réunis. Le faire-œuvre, pensé traditionnellement comme actualisation d'une puissance de faire (de réaliser ou d'agir), est repensé à partir d'un « désœuvrement essentiel », déjà présent dans les méditations aristotéliciennes et leurs reprises par Averroès et Dante. Il permet de « mettre de côté l'emphase sur le travail et sur la production » afin d'ouvrir de nouvelles perspectives capables de lire dans tout œuvre « son propre désœuvrement comme sa propre puissance ».

Par ailleurs, dans Le Messie et le souverain (1992) consacré au problème de la loi chez Walter Benjamin, Giorgio Agamben, méditant « l'état d'exception dans lequel nous vivons », en vient à ouvrir des perspectives « politiques » que son œuvre la plus récente continue d'explorer. « Nous pouvons comparer la situation de notre temps à celle d'un messianisme pétrifié ou paralysé qui, comme tout messianisme, réduit la Loi à rien, pour ensuite, cependant, la maintenir comme rien de la révélation dans un perpétuel et interminable état d'exception. » État d'exception qui s'étend à la planète entière sous la figure menaçante et déjà régnante du « biopouvoir ».

Les rapports à la tradition impliqués par les lectures d'Agamben sont d'une grande subtilité et déconcertent les visions les plus historiquement ancrées. Les noms de Walter Benjamin et de Heidegger (omniprésents dans la suite de ces textes), proches et opposés, issus de mondes différents, servent de fils conducteurs et aident à définir une « herméneutique » particulière, une « science[...]

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